Volume 14, numéro 1, 2018

Benoît Feildel

« Avant-propos : Sensibilités, émotions et relations » (p. 15-21)

Simon Laflamme

« L’émoraison : au cœur du dilemme entre théories de l’action et approche relationnelle » (p. 23-41)

Résumé : Les théories de l’action s’appuient souvent sur la thèse de la rationalité procédurale ou limitée, thèse qu’elles ont intégrée, pour rejeter tout reproche que l’on adresse à leur modélisation, notamment pour se protéger contre l’objection de ne pas pouvoir prendre en compte les émotions. Or quand on soumet cette thèse à la critique, on s’aperçoit rapidement qu’elle n’est pas en mesure de servir de bouclier, car la modélisation demeure centrée sur la raison et sur ses corollaires : la conscience, l’intention, la stratégie, la liberté et l’intérêt. On découvre, en effet, que les théories de l’action n’ont pas accès à ces caractéristiques fondamentales de l’humanité que sont les dialectiques de la raison et de l’émotion, de la conscience et de l’inconscient, de la liberté et de la détermination.

Mots-clefs : théories de l’action ; approche relationnelle ; rationalité limitée ; émoraison

Emmanuel Petit

« La mise en œuvre d’une conception relationnelle de l’émotion en économie comportementale » (p. 43-83)

Résumé : Dans cet article, nous analysons comment la science économique standard, discipline qui a intégré tardivement le domaine de l’affectivité, se confronte aujourd’hui à ce que les historiens des émotions ont appelé le « tournant émotionnel ». Nous prenons appui sur la théorie des émotions en mettant en avant une conception relationnelle de l’affect. La prise en compte de cette dimension relationnelle peut-elle modifier le cadre rationnel caractéristique de l’analyse économique traditionnelle ? À partir des travaux sur la coopération de Frans van Winden (2015) et de ses collègues, nous montrons que le tissage de liens affectifs entre individus transforme le problème du « passager clandestin » posé dans les dilemmes sociaux. Ceci ouvre une discussion fondamentale sur la place de l’émotion dans la construction de l’attitude coopérative dans une dynamique spatiale et temporelle.

Mots-clefs : tournant émotionnel ; théorie des émotions ; liens affectifs ; coopération ; économie du comportement

Ekaterina Pereprosova

« L’amour de l’enfant inconnu. La construction socio-cognitive de l’affection parentale » (p. 85-115)

Résumé : Cet article analyse les mécanismes socio-cognitifs de la genèse des sentiments de parenté à travers les cas de l’adoption plénière nationale et internationale en France. Il s’agit de démontrer que l’affection parentale se construit dans le travail bilatéral des parents qui élaborent et intériorisent leur projet d’adoption ainsi que les institutions qui participent à ces processus par l’imposition des normes et des contraintes. La dimension cognitive de l’affection aux premières étapes de la construction de parenté est explorée à travers le concept de fiches mentales emprunté à la philosophie analytique. L’ambition de cet article est alors d’analyser les façons dont les candidats construisent et s’approprient les fiches mentales des enfants adoptifs ainsi que les manières d’inscrire ces derniers dans leurs lignées familiales.

Mots-clefs : construction de l’affection ; construction de la parenté ; l’attachement ; anthropologie de la parenté

Nathanaël Wadbled

« Raconter sa visite à Auschwitz. Les conditions communicationnelles de l’expression des ressentis » (p. 117-150)

Résumé : L’expression des ressentis est un phénomène social et relationnel dans la mesure où elle se fait dans une situation communicationnelle. Il n’est pas possible de parler de ses ressentis intimes avec n’importe qui et dans n’importe quel dispositif relationnel. C’est ce que montre l’enquête réalisée sur l’expérience de visite scolaire du Musée-Mémorial d’Auschwitz-Birkenau. Les élèves n’avaient pas réussi à parler de leurs ressentis intimes à leurs proches, à leurs camarades ou à leurs enseignants. Ils ont avec chacun de ces groupes une impossibilité spécifique à parler de leur intimité. Au contraire, la relation instaurée pendant l’entretien a permis l’expression de cette intimité. Le tournant émotionnel des sciences humaines et sociales ne peut faire l’économie de cette question puisqu’elle engage une réflexion sur la relation qui se noue sur le terrain avec les enquêtés.

Mots-clefs : Auschwitz ; communication ; tourisme de mémoire ; entretien sociologique ; expérience ; mémoire douloureuse ; sémiotisation ; Shoah ; transmission

Ali Romdhani et Véronique Van Tilbeurgh

« Les émotions dans l’action collective. Les mobilisations contre les parcs éoliens et les bâtiments d’élevages en Bretagne (France) » (p. 151-201)

Résumé : Les approches émotionnelles en sciences sociales sont aujourd’hui très diverses, mais intègrent encore peu les émotions pour expliquer les composantes sociales de l’action. Cet article entend interroger la dynamique de l’action collective en intégrant l’aspect émotionnel de la vie sociale dans une perspective relationnelle. Fondée sur les travaux de Pierre Livet (2001) et de Louis Quéré (2012), l’émotion est envisagée comme étant ce qui lie les individus à une situation. Cette relation provoque un « travail émotionnel », c’est-à-dire la révision de nos attentes dans une situation incertaine, que les acteurs opèrent pour s’engager dans l’action. L’objectif de cet article est de montrer la relation entre les caractéristiques des émotions ressenties et les formes des mobilisations collectives. Cet article repose sur l’analyse de conflits d’usages autour de neuf projets d’extension de bâtiments d’élevage et de parcs éoliens. La dynamique du conflit sera restituée dans le temps à travers les différentes situations émotionnelles que traversent les protagonistes

Mots-clefs : travail émotionnel ; conflit ; éolienne ; élevage ; confiance ; action collective ; mobilisation

Christian Le Bart

« La représentation politique comme lien émotionnel » (p. 203-227)

Résumé : L’objectif de cette contribution est de réfléchir au lien démocratique qui unit représentés et représentants du point de vue des émotions. Nous privilégierons une approche historique pour rendre compte du cas français. Selon un premier modèle, les émotions sont strictement encadrées au sommet de l’État. Ce modèle n’a évidemment pas disparu, mais il est concurrencé depuis quelques années par un modèle fondé sur le relâchement partiel, y compris au sommet de l’État, des contraintes de sang-froid. Le politique n’est plus seulement celui qui perçoit les émotions de la foule et qui sait les traduire en actions publiques ; il est celui (ou celle) qui les éprouve avec intensité. Il s’émeut comme tout un chacun face aux drames collectifs et il se réjouit lors des liesses collectives ; il peut même assumer publiquement des émotions personnelles liées à la carrière politique ou à la vie privée.

Mots-clefs : vie politique ; personnalités politiques ; médiatisation ; président de la République ; émotions ; colère ; larmes ; informalisation

Anne Volvey

« À quoi œuvre l’esthétique relationnelle ? Une approche transitionnelle du paradigme relationnel en sciences humaines et sociales fondée sur les propositions artistiques de Lygia Clark et Marina Abramović » (p. 229-267)

Résumé : Nicolas Bourriaud a défini l’esthétique relationnelle de l’art actuel, comme une « esthétique de la proximité » qui opère dans la sphère intersubjective. Sur le fondement des œuvres des artistes Lygia Clark et Marina Abramović, ce texte complète non seulement le corpus de cet auteur, mais la typologie qu’il a initiée par la « figure » du care, pour la mettre au principe des phénomènes et jugements que cette esthétique décrit. En appui théorique sur la psychanalyse transitionnelle, le texte revient sur l’esthétique relationnelle, mais montre aussi comment elle œuvre et ce qu’elle fait œuvrer, mettant en évidence la part non seulement intersubjective, mais haptique (sens et émotion) de la relationnalité ainsi que son horizon narcissique identitaire. Il propose alors une définition paradigmatique de l’esthétique relationnelle, pour la mettre en perspective critique des développements rela¬tionnels et esthétiques des sciences humaines et sociales contemporaines, notamment de la géographie, et du tournant spatial.

Mots-clefs : esthétique relationnelle ; art relationnel ; géographie ; psychanalyse transitionnelle ; intersubjectivité ; émotion ; empathie ; identité narcissique ; tournant spatial

Comptes-rendus de lecture

Roger Gervais

Accessibilité et offre active. Santé et services sociaux en contexte linguistique minoritaire, Marie Drolet, Pier Bouchard et Jacinthe Savard (dir.), Ottawa, Les Presse de l’Université d’Ottawa, coll. Santé et société », 2017 (p. 269-273)

Leonardo G. Rodríguez Zoya

Las vertientes de la complejidad. Pensamiento sistémico, ciencias de la
complejidad, pensamiento complejo, paradigma ecológico y enfoques holistas, Enrique Luengo-González, Guadalajara (México), ITESO, 2018 (p. 274-280)