Volume 13, numéro 1, 2017

Denis Martouzet

« Avant-propos. Pistes d’exploration épistémologique de la réflexivité et de la distanciation critique » (p. 15-19)

Isabelle Lefort et Laura Péaud

« La réflexivité et les géographes français au XXe siècle. D’une approche historique à une approche épistémologique » (p. 21-55)

Résumé : Au cours du XXe siècle, les géographes français ont fait leurs des démarches et explicitations réflexives qui corrélativement ont vu sensiblement évoluer leurs places et leurs statuts dans la production disciplinaire. Cessant d’en être un angle mort, ces démarches ont été dotées d’un outillage conceptuel et méthodologique, leur assurant aujourd’hui visibilité et reconnaissance dans le champ des études géographiques. Passant d’un projet d’histoire de la discipline à un projet plus explicitement épistémologique, les modalités de l’écriture réflexive géographique participent aujourd’hui d’une nouvelle forme d’habitus disciplinaire mobilisant ne nouveaux objets, questionnements et méthodes.

Mots-clefs : géographie, France, réflexivité, histoire et épistémologie disciplinaire.

Cyril Blondel

« Gymnastique épistémologique, critique et réflexive : la construction d’une recherche en « ex-Yougoslavie » face à la colonialité du savoir » (p. 57-89)

Résumé : Cet article tente de retracer une histoire, celle de l’évolution de ma propre réflexivité durant le temps d’une thèse intitulée « Aménager les frontières des périphéries européennes. La frontière Serbie/Croatie à l’épreuve des injonctions à la coopération et à la réconciliation » (thèse de doctorat, Tours, Université François-Rabelais, 2016). Mon propos ici est de rendre compte d’une conviction, la nécessité de s’engager dans une démarche réflexive et critique avant, pendant et après la production de la recherche en elle-même. Cet article constitue ainsi une tentative de démonstration par l’exemple de l’intérêt d’une telle posture. Je vise, d’une part, à exposer comment j’ai construit mes réflexions épistémologiques, par une déconstruction progressive des cadres théoriques classiques (nationalistes, post-socialiste, post-yougoslave) choisis ou imposés. D’autre part, j’expose les aboutissements de cette réflexivité, c’est-à-dire principalement ma prise de conscience de la colonialité du savoir (et du mien en particulier). Cette gymnastique m’a permis de parfois dépasser certaines limites de mon travail, et plus souvent d’en rendre compte, mais aussi d’accepter l’indépassable lié à certains aspects de ma situation de recherche, de la manière dont je l’ai énoncée et conduite. Mener ce type d’exercice et en rendre compte contribuent alors à mieux préciser les conditions de validité scientifique de ces travaux, à mieux situer le propos et l’apport du chercheur, sa position et donc sa positionalité.

Mots-clefs : réflexivité, pensée décoloniale, épistémologie, nationalismes méthodologiques, post-socialisme, post-yougoslave.

Florence Bétrisey

« Désir, conditions et politiques de reconnaissance du chercheur en sciences sociales : réflexions sur la performance de terrain et d’écriture » (p. 91-116)

Résumé : Dans cet article, nous proposons d’analyser la démarche de recherche et le comportement des sujets-chercheurs au prisme de la notion de reconnaissance. Nous questionnons notre propre démarche et notre propre comportement de sujet-chercheuse dans le cadre de notre recherche doctorale en Bolivie. Plus particulièrement, nous analysons deux dimensions clés de la recherche en sciences sociales : la performance du travail de terrain et l’espace académique (eurocentriste) dans lequel s’inscrit le chercheur.

L’analyse du travail de terrain (compris comme une performance sociale) au prisme de la notion de reconnaissance nous permet d’abord d’éclairer les tensions entre conformisme stratégique du chercheur et reproduction de normes sociales locales. Dans un deuxième temps, nous mettons en évidence le désir du chercheur d’obtenir une reconnaissance académique et la façon dont ce désir l’enjoint à reproduire la grammaire dominante de reconnaissance académique. Nous éclairons notamment le fait que ce désir d’obtention d’une reconnaissance, sociale ou académique est étroitement lié aux relations de pouvoir qui structurent l’espace académique (lequel n’est, au demeurant, pas considéré comme un espace neutre).

Enfin, nous montrons que, si la promesse de reconnaissance rend la contestation des normes de reconnaissance difficile, elle n’empêche pas leur contournement, par exemple par l’adhésion à des récits alternatifs de la qualité de la recherche (« slow science »). Ces derniers peuvent en effet agir comme des canaux alternatifs de reconnaissance, producteurs de nouveaux récits et nouvelles grammaires de reconnaissance. Or ces mécanismes de conformisme, résistance ou contournement des normes de reconnaissance, autant en ce qui concerne la performance de terrain que l’espace académique, se déroulent souvent dans le domaine de l’inconscient et du non cognitif.

Mots-clefs : reconnaissance, performance de recherche, écriture scientifique, espace académique.

Souheil Essid et Yosra Essid Hamas

« De la désaffiliation du chercheur pour l’élaboration des connaissances : comment se positionner en tant que chercheur et acteur dans une école ethno-religieuse? » (p. 117-148)

Résumé : Quand le chercheur s’investit dans son action de recherche, il entretient un rapport cognitif et affectif avec son objet d’étude. Dans cet article, nous souhaitons aborder comment la question de l’implication du chercheur est un enjeu de la recherche et en quoi l’analyse des processus à l’œuvre pour le chercheur peut devenir un objet de réflexion qui permet aussi une compréhension de l’objet d’étude. Dans le cadre d’une recherche doctorale sur le rôle de la religion et de l’école dans la construction identitaire des jeunes, notre immersion dans une école primaire au Québec nous place au cœur d’un processus réflexif sur la posture du chercheur, sur sa réflexivité et sur son positionnement par rapport à soi-même, à ses sujets de recherche et à ses outils de collecte de données. Dans cette étude, l’observation ethnographique comme outil de collecte de données nous a placé au cœur d’un processus conversationnel continu avec les sujets, avec les données et avec soi-même. Le processus a conduit le chercheur à une désaffiliation religieuse et à une réflexion sur les aspects intersubjectifs de la recherche.

Mots-clefs : chercheur, religion, école, réflexivité, ethnographie, vigilance, désaffiliation.

Marion Bourhis

« Système, rétroactions et recherche. Un triptyque à considérer? » (p. 149-176)

Résumé : La restitution de récits d’enquête reste vécue comme une forme de « mise en danger » vis-à-vis de la crédibilité des recherches menées empruntant principalement aux méthodes de types qualitatives, sans qu’il existe de réelle cumulativité relative aux enjeux et questionnements issus de ces restitutions. Une telle situation laisse transparaître un besoin en termes d’outillage analytique auquel cet article se propose d’apporter un début de proposition. En effet, à partir du postulat de départ que tout chercheur fait partie de son cadre de travail, qu’il influence mais qui l’influence également en retour, l’article propose de considérer tout déroulé de recherche sous l’angle de la systémique, et donc d’envisager les glissements réalisés comme étant des transformations issues de boucles de rétroactions positives. En ce sens, cet article souhaite, partant d’une expérience effective de recherche, tendre vers une possible généralisation analytique.

Mots-clefs : système, rétroaction, recherche, modélisation, transformations.

Julie Descheneaux, Denise Aubé, Clément Beaucage, Rodrigue Côté

« Les défis de la réflexivité et de la collaboration recherche-pratique : le cas de l’implantation d’une nouvelle offre de services en santé mentale en première ligne » (p. 177-209)

Résumé : L’évaluation d’implantation d’une nouvelle offre de services en santé mentale dans un centre de santé et de services sociaux démontre que le processus de changement doit être accompagné de la création d’espaces réflexifs au sein des équipes de travail afin de créer des conditions favorables à l’implantation. La complexité organisationnelle est un enjeu avec lequel il faut composer. Le rôle de la collaboration recherche-pratique dans ce processus d’implantation du changement est souligné afin de mieux comprendre les enjeux de la création d’espaces réflexifs dans une organisation. Alors que les espaces réflexifs prévus dans la planification initiale ne se sont pas concrétisés, l’interaction continue entre la recherche et la pratique a permis d’actualiser sous une forme inattendue les mécanismes réflexifs dans l’organisation en changement grâce aux espaces de collaboration mis en place et aux mécanismes d’application des connaissances portés par la posture épistémologique, la création d’alliances et le fonctionnement par cycle.
Mots-clefs : transfert des connaissances, évaluation développementale, recherche participative, santé et services sociaux, étude de cas.

Camille Rouchi

« Réflexivité et recherche-action en contrat CIFRE, quand les contraintes du terrain deviennent opportunités » (p. 211-224)

Résumé : Cet article propose de communiquer sur un retour d’expérience et d’engager une réflexion sur la réalisation d’une recherche critique en sciences humaines financée par son terrain de recherche. L’ambition est ainsi d’adopter un double point de vue : celui de l’universitaire et du professionnel. Cette posture n’étant pas sans inconvénient puisqu’elle implique de se poser la question à la fois des attentes et des besoins du monde professionnel et scientifique dans le cadre de ce qui relève de la recherche-action. Être engagé par son terrain, c’est se confronter à la contradiction des temporalités et de multiples intérêts. Nous verrons que l’élaboration de l’objet de recherche, l’obtention des données et les modalités de restitution, interpelle la nécessité d’adopter un point de vue réflexif et pour le chercheur de transformer les contraintes en opportunités.

Mots-clefs : recherche-action, sciences humaines, réflexivité, CIFRE, terrain.

Nathalie Brevet

« Coming out » (p. 225-249)

Résumé : Je saisis l’opportunité du thème proposé par la revue pour questionner mon parcours personnel. Ce dernier s’articule autour de deux activités : celle d’enseignant-chercheur en urbanisme et en sociologie et celle d’artiste. Je suis effectivement maître de conférences depuis 2009 et, depuis le début des années 2000, période coïncidant avec le début de mon doctorat, je travaille en collaboration avec Hughes Rochette. Ensemble nous réalisons des installations in situ dans le champ de l’art contemporain privilégiant le rapport au lieu et à l’espace. Cet article est l’occasion de m’interroger sur la façon dont des objets de réflexion, des pratiques, ou encore des formes d’expression circulent d’un monde à l’autre. Il ne s’agit aucunement d’assimiler ces deux univers mais de comprendre ces « brèves rencontres » que décrit le scientifique Jean-Marc Lévy-Leblond. Je suivrais l’évolution de mon parcours à la fois d’enseignant-chercheur et d’artiste pour questionner les moments et les formes de cette rencontre. Ces propos seront aussi l’occasion d’ouvrir un questionnement sur la recherche en se demandant quelle est la place donnée à l’expérimentation dans un contexte où l’évaluation implique une normalisation des productions scientifiques.

Mots-clefs : processus de recherche, expérimentation, artiste, chercheur, art contemporain, sciences humaines, installation in situ, récit de territoire, poster, écriture.

Dominique Loiseau

« Retour réflexif sur un cheminement » (p. 251-270)

Résumé : L’article est un retour réflexif sur le cheminement d’une chercheuse travaillant sur les rapports sociaux de sexe et le mouvement ouvrier, en histoire et en sociologie : réflexion sur l’évolution de ses supports de recherche (rapport aux sources orales, à l’image), sur les outils facilitant une transmission, sur la confrontation à de nouveaux langages pour rendre compte de la recherche, sur de nouvelles pratiques pour sortir de l’entre-soi universitaire, s’enrichir des réactions d’un public qui a été – ou pas – partie prenante de l’étude.

Et, en amont, faciliter la production d’une réflexion par les personnes enquêtées, pour qu’elles deviennent, dans une certaine mesure, sujets et pas seulement objets, s’approprient la démarche et participent, par exemple, à l’élaboration du contenu d’un texte théâtral sur la thématique des stéréotypes sexués.
En transversal, la question de la posture de la chercheuse, du rapport entre connivence, empathie et altérité.

Mots-clefs : stéréotypes sexués, transmission, interaction, empathie, altérité, langages, posture, engagement.

Antoine Delporte et Lionel Francou

« Faire de la sociologie. Entre investissement relationnel, contraintes professionnelles et utilité sociale » (p. 271-322)

Résumé : Confrontée à des processus de standardisation et de compétition, mais aussi en perte de légitimité dans l’espace public, la sociologie semble en difficulté malgré un nombre grandissant d’organisations et d’acteurs sociaux qui font appel à des chercheurs pour les aider à formuler des solutions à leurs problèmes. Les auteurs invitent à s’engager à la fois dans la sociologie, au moyen d’une pratique exigeante de cette discipline, et pour la sociologie, afin de défendre les spécificités scientifiques en matière de procédures d’enquête et de prises de parole dans l’espace public. Afin de dresser un état des lieux des difficultés rencontrées par la discipline et ceux qui la pratiquent, ainsi que de ses forces et atouts, l’article présente d’abord les mutations qui affectent le métier de sociologue, puis les formes de l’engagement du sociologue dans la relation avec les enquêtés et dans la société, que ce soit auprès d’organisations ou dans l’espace public.

Mots-clefs : recherche, engagement, profession, espace public, ethnographie, restitution.

Hors thème

Pierpaolo Donati

« Quelle sociologie relationnelle? Une perspective non relationniste » (p. 325-371)

Résumé : Dans cet article, l’auteur présente sa version originale d’une sociologie relationnelle, laquelle repose sur un réalisme critique, qu’on appelle aussi « théorie relationnelle de la société ». Elle partage avec d’autres versions de la sociologie relationnelle l’objectif de comprendre les faits sociaux en tant qu’entités constituées relationnellement. Mais elle diffère des versions constructivistes radicales (ici nommées sociologies relationnistes) par la façon dont les relations sociales sont définies, les voies par lesquelles elles sont générées et elles changent (morphogénèse sociale), et la manière dont elles configurent les formations sociales. L’article met au clair les avantages qu’offre cette perspective originale pour l’explication des phénomènes sociaux émergents. En particulier, montre-t-il, cette perspective peut orienter la recherche sociale vers des réalités invisibles ou immatérielles. Empiriquement, elle peut montrer comment des formes sociales nouvelles sont créées, comment elles changent ou comment elles se détruisent en fonction de divers processus de valorisation ou de dévalorisation des relations sociales. Ultimement, cette approche offre la possibilité de mettre en lumière des processus relationnels qui peuvent permettre aux agents sociaux humains de mieux se réaliser et leur donner, en tant que sujets relationnels, l’occasion d’accéder au bien-vivre.

Mots-clefs : sociologie relationnelle, théorie sociale relationnelle, ontologie émergentiste, relationnisme, sujets relationnels.

Paul Jalbert et Simon Laflamme

« La communication au sein de foyers familiaux. Une nouvelle preuve de la pertinence d’une analyse relationnelle » (p. 373-401)

Résumé : Dans cet article, nous rappelons quelques éléments d’une analyse relationnelle en confrontant son appareil conceptuel à celui qui est à l’œuvre dans les modélisations qui ont pour centre l’individu. Nous énumérons quelques travaux empiriques qui, entre autres, ont relativisé la pertinence de la catégorie d’intention, catégorie qui est prééminente dans la plupart des études qui se focalisent sur l’individu. Enfin, nous rapportons les résultats d’un nouveau travail empirique qui, dans le prolongement des précédents, met en valeur l’analyse relationnelle. Ce travail repose sur l’observation des échanges qui ont cours au sein de foyers familiaux.

Mots-clefs : approche relationnelle, socialité, historicité, émoraison, intention, raison, théories de l’action.

Claude Vautier

« Un petit monde en Ontario. Application d’un modèle relationnel trialectique à la vie d’une communauté canadienne » (p. 403-452)

Résumé : Face aux controverses encore vives entre les tenants du sujet et ceux des structures, entre ceux qui pensent que l’action est au centre de la sociologie et ceux qui sont convaincus que ce sont les systèmes sociétaux qui constituent la source de la dynamique sociale, nous pouvons ouvrir des voies nouvelles.

Dans cet article, je cherche à démontrer qu’il est possible de sortir des approches actionnistes, structuralistes, de même que phénoménologiques, pour comprendre les phénomènes sociétaux. Pour ce faire, j’essaie de réintroduire une catégorie oubliée, l’événement, comme une catégorie importante de la recherche en sociologie. Mais, plus important, je propose un modèle relationnel qui étudie, non les catégories, mais les relations entre les catégories. Il ne le fait pas à la façon des modèles de la théorie des réseaux en étudiant les « relations entre », mais en se concentrant sur le caractère hologrammatique des systèmes sociétaux, c’est-à-dire sur l’idée selon laquelle individu, système et événement sont simplement indissociables les uns des autres.

Le modèle repose sur l’étude des liens qui unissent de façon très intime les catégories en question. Ces liaisons sont telles que chaque catégorie est étudiée dans sa relation avec chacune des deux autres puis dans son rapport au rapport entre les deux autres. L’application empirique réalisée montre que l’on peut ainsi mieux comprendre les chemins ou histoires de vie de membres d’une petite communauté du nord-est de l’Ontario, leurs évolutions, voire leurs bifurcations, dans certains cas, qu’avec des modèles reposant sur les ressorts de l’action ou ceux des structures.

Mots-clefs : événement, individu, hologrammie, histoires de vie, champ relationnel, modèle relationnel, relation, système, trialectique, valence des relations.

Compte rendu de lecture

Roger Gervais

La recherche en action-IPMSH, Isabelle Tanguay, Montréal, Éditions du renouveau pédagogique Inc. (ERPI), 2017, 296 p. (p. 455-458)