Volume 10, numéro 2, 2015

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SIMON LE ROULLEY

« Temps saturé et critique de la vie quotidienne » (p. 23-56)

Résumé : La sociologie a souvent intégré la dimension temporelle à ses recherches comme une variable, mais a rarement choisi de s’intéresser au temps spécifiquement. En tant que représentation sociale instituée, pleine de l’histoire de notre société, le temps est pourtant un objet socioanthropologique qui permet de saisir les enjeux contemporains et les rapports de dominations capitalistes. Nous proposons ici un regard sur les évolutions du rapport au temps afin d’expliquer en quoi le temps est une institution. Nous proposerons ensuite une lecture contemporaine du phénomène (l’anomie temporelle) face à l’individualisation et l’hypernomie. Nous proposerons enfin de nouveaux outils pour saisir les temps contemporains. Ces outils sont construits sur une perspective critique héritée à la fois de l’École Française de Socioanthropologie et de l’hétérodoxie marxiste. La perspective vise à pointer les possibilités sociales d’opposer au temps institué un temps instituant, dans une dialectique acteur-système. Derrière cette communication, c’est le programme d’une recherche en cours qui se dévoile.

Mots-clefs : Temps, institué, instituant, Henri Lefebvre, moments, vie quotidienne.

ALIS SOPADZHIYAN

« La réforme du système de santé bulgare au prisme de ses temporalités : dynamiques et conflictualités d’un changement social complexe » (p.57-101)

Résumé : L’article proposé ici explore la réforme du système de santé bulgare de la fin des années 1990 sous l’angle de ses temporalités. L’auteure situe son analyse par rapport aux travaux néo-institutionnalistes récents sur la structuration progressive du changement et aux écrits de la sociologie historique. Elle montre ainsi le temps double de cette réforme qui, bien que suggérant l’immédiateté du fait de son caractère radical, s’inscrit avant tout dans une perspective temporelle longue. Outre son caractère double, le changement ainsi introduit se voit accéléré comme conséquence des relations complexes entre le temps et l’espace et de l’importation d’idées néo-managériales lors de la mise en œuvre de la réforme.
L’analyse des effets de ces phénomènes temporels sur la perception du changement des principaux acteurs composant l’espace politique de la santé révèle, quant à elle, l’omniprésence de la référence au passé communiste qui reste un temps dominant fort de l’histoire bulgare, alimentant les dynamiques conflictuelles inhérentes au système.

Mots-clefs : Système de santé, réforme, changement, trajectoire, temporalité, conflit, Bulgarie.

ALEXIS METZGER

« Les temporalités climatiques des paysages d’hiver hollandais » (p. 103-121)

Résumé : L’essor de la peinture hollandaise est une des facettes les plus riches du Siècle d’or. Au sein de cette profusion picturale, s’interroger sur les temporalités des paysages d’hiver apparaît porteur de réflexions pertinentes, aussi bien méthodologiques que conceptuelles. Il s’agira dans cet article d’analyser ces temporalités à travers des types de représentations picturales hollandaises, appartenant à un territoire à peu près homogène pour le climat, identifié politiquement et socialement au XVIIe siècle.
En premier lieu, ces peintures s’inscrivent enfin dans une temporalité climatique pluriséculaire, le petit âge glaciaire (vers 1300-1860. L’autre pas de temps à analyser est celui de la saison hivernale. Enfin, un pas de temps très court correspondant à la journée, au temps qu’il fait, sera interrogé Assurément, ces différentes temporalités sont imbriquées car certains types de temps appartiennent à l’hiver, qui est particulièrement long et froid au petit âge glaciaire.

Mots-clefs : Peinture hollandaise, Siècle d’or, représentations, hiver, climatologie historique, petit âge glaciaire.

GEORGES-HENRY LAFFONT

« La figure du réseau au cinéma : Coupe(s) mobile(s) pour représenter les dynamiques de l’urbain contemporain » (p. 123-158)

Résumé : Figurer l’urbain contemporain, c’est relever l’enjeu de formaliser des rythmes, des mouvements, des fluctuations tout en cherchant à ne pas faire abstraction de son caractère dynamique. En structurant le propos autour du réseau, vocable polysémique et représentation graphique protéiforme rendant le mieux compte de l’urbain contemporain, du moins est-ce l’hypothèse ici formulée, cet article vise à discuter des enjeux actuels, tant conceptuels que méthodologiques, de la représentation des temporalités et des dynamiques. Exprimer graphiquement le réseau dans sa complexité invite à passer de coupes immobiles à des coupes mobiles et la thèse défendue ici est que le cinéma, par son imaginaire graphique peut participer de cet exercice. Cet apport tient notamment au fait que le cinéma permet d’isoler deux éléments d’analyses de l’urbain qui s’expriment graphiquement : le damier et la trajectoire.

Mots-clefs : Réseau, représentation, urbain contemporain, cinéma.

CHRIS BEYE R et DOMINIQUE ROYOUX

« Cartographie des attracteurs temporels et photographie panoramique, des outils innovants au service de l’observation des rythmes du territoire » (p. 159-198)

Résumé : Avec la crise des temps caractérisée par le délitement des rythmes sociaux et le sentiment d’accélération, penser les temporalités est devenu un nouvel enjeu des politiques publiques territoriales. Cependant, un hiatus demeure entre les problématiques liées à l’hypertension des rythmes des territoires et les méthodes existantes pour les représenter. Des apports de la Time-geography, au chronotopes du politecnico di Milano, les travaux qui essaient de saisir le temps des territoires laissent entrevoir la difficulté à retranscrire un phénomène aussi intangible. Notre propos est de présenter deux méthodes innovantes utilisées dans notre recherche afin de faciliter le chronoaménagement et le chronourbanisme. La première repose sur la cartographie des attracteurs temporels lors de la révision du PLU (Plan Local d’Urbanisme) de la ville de Niort. La seconde s’appuie sur de développement d’une méthode de photographie en série destinée à capter les évolutions fines des pratiques d’un lieu dans le cadre de son ré/aménagement ou du souhait de rééquilibrer ses fonctions et pratiques.

Mots-clefs :Aménagement, cartographie, chronotopes, chronoaménagement, photographie, politique publique, rythme, temporalité, territoire.

PIERRE PISTRE, HADRIEN COMMENGES, DAVID GUERRERO, LAURENT PROULHAC

« Définitions opérationnelles du temps pour l’analyse des données longitudinales : illustration dans le champ des mobilités spatiales » (p.199-236)

Résumé : La temporalité des phénomènes étudiés en sciences humaines et sociales pose des problèmes théoriques complexes et des problèmes techniques spécifiques, notamment d’analyse et de visualisation de l’information temporelle. Cet article propose une typologie opérationnelle distinguant trois types de temps – calendrier, processus et succession – puis il illustre l’intérêt de cette typologie à travers trois cas d’étude qui traitent des mobilités spatiales (parcours résidentiels, programmes d’activités et de déplacements quotidiens, itinéraires d’acheminement de marchandises). Ces exemples sont analysés à partir de données longitudinales et de plusieurs modes de représentation graphique (en chronogramme, en tapis, en coulées). Nous cherchons ainsi à enrichir et clarifier l’appréhension du temps comme attribut dans un système d’information statistique. Notre démarche de recherche a été largement inductive et pragmatique. Nous sommes partis de préoccupations thématiques et techniques particulières, concernant l’analyse et la représentation graphique des données longitudinales, pour aller vers des spécifications théoriques plus générales du temps. Nous avons cherché, en somme, à modeler un temps à la mesure de nos objets de recherche. Cette démarche est restituée en sens inverse dans l’article : de la réflexion théorique à la mise en pratique dans le champ des mobilités spatiales.

Mots-clefs : Temporalités, visualisation, analyse longitudinale, trajectoire.

Léa Sébastien

« De la mesure du temps à l’analyse des séquences d’action. Dynamique de l’attention dans les études du public des musées » (p.237-271)

Résumé : Cet article analyse l’usage des données spatio-temporelles dans les enquêtes de public mobilisant le suivi chronométré de visiteurs d’exposition. Il met en lumière un paradoxe : ces études emploient des données séquentielles, des suites ordonnées de coordonnées spatio-temporelles, mais elles produisent des analyses ne tenant aucun compte de la temporalité de l’activité de visite. Nous avançons deux explications. D’une part, la perspective d’évaluation des expositions qui domine dans ces enquêtes incite les chercheurs à transformer l’échelle de leur analyse en passant de données centrées sur les individus à des analyses centrées sur les objets exposés. D’autre part, la standardisation des outils n’a pas favorisé l’adoption de techniques d’analyse séquentielle. Nous présentons enfin, à partir des résultats d’une enquête ethnographique sur les réceptions muséales d’une toile de maître, quelques pistes d’analyse rendant compte de la temporalité de la visite.

Mots-clefs : Publics, musée, exposition, visite, observation, temps.

MATTHIEU ADAM

« L’éternel retard. Réflexion sur le moment d’observation des objets dynamiques : l’exemple des projets urbains et des représentations de la ville » (p.273-303)

Résumé : Certains objets d’étude peuvent être qualifiés de dynamiques : ils évoluent et leurs acteurs avec eux alors même que les chercheurs se penchent sur eux. Ils convoquent alors une multitude de temporalités dont il convient de prendre la mesure pour en saisir toute la complexité. Pourtant, nos démarches scientifiques et nos contraintes pratiques nous imposent de les figer dans un état, de procéder à des coupes, d’arrêter nos observations, bref de choisir un instant t pour les observer. S’opère donc alors une simplification de la réalité et les choix effectués conditionnent directement le contenu de nos recherches et la validité de nos résultats. À partir de l’exemple d’une recherche s’intéressant aux représentations de la ville contemporaine saisies à travers la médiation de projets urbains, cette contribution propose une réflexion sur la détermination du moment le plus adapté pour observer un objet dynamique et des conséquences ce choix sur les résultats de recherche que le chercheur peut prétendre produire.

Mots-clefs : Enquête de terrain, objets dynamiques, temporalités, projet urbain, représentations.