Sur le thème : « Renouveler les méthodes d’entretien pour libérer la parole de l’enquêté »
Sous la direction d’Amélie Robert et Félix Lefebvre
Amélie Robert et Félix Lefebvre
Avant-propos (p. 15-28)
Hervé Breton
« Entretiens narratifs et récits incarnés : examen des conditions pour l’accès au vécu au cours de l’enquête » (p. 31-55)
Résumé : Au sein de la recherche qualitative, les approches de l’enquête mobilisant le récit se trouvent classées en tant que recherche narrative. L’objet de ce texte est de caractériser ce champ de recherche dont la singularité est d’appréhender les phénomènes vécus par le sujet à partir de la pratique du récit de soi. Cela est notamment réalisé en définissant plusieurs repères théoriques et méthodologiques : différenciation des types de discours, spécification des registres d’expression, formalisation des régimes narratifs. Ce travail de définition permet ensuite de caractériser la pratique et les enjeux de l’entretien narratif, d’en préciser les procédés de guidance, puis de caractériser les dimensions temporelles et expérientielles des données narratives.
Mots-clefs : Entretien, enquête, microphénoménologie, récit, recherche narrative, vécu.
Marine Bikard
« Ce dont nos mains se souviennent » (p. 57-100)
Résumé : Par l’attention au corps pendant l’entretien, je cherche à générer une parole ancrée et renouvelée. Cette attention change l’imaginaire de l’entretien, moins collecte d’information que jeu performatif : il s’agit d’ouvrir dans l’échange un rapport mobile et vivant à la mémoire, et cela passe aussi par le corps du sociologue, sa façon de jouer de sa présence et du cadre. Mettant en jeu le corps dans la parole même, les récits issus de la mémoire des mains proposent un accès au vécu depuis des mémoires peu mobilisées. L’expérience y apparaît fondamentalement ancrée dans le contexte, prise dans le tissu des contingences de la vie, dont le corps se souvient au travers de ses gestes et des sensations qui l’ont traversé. Ces récits révèlent aussi une intelligence et une imagination diffuse dans le corps poreux à son environnement. Ils ouvrent ainsi à une compréhension écologique de nos actes, rendant compte de l’enchevêtrement entre nos comportements et l’environnement.
Mots-clefs : Sociologie, danse, performance, perception, improvisation, main, mémoire.
Yann Bruna
« Enjeux méthodologiques de l’exploitation de traces d’activité en ligne en situation d’entretien » (p. 101-134)
Résumé : Depuis plus de deux décennies, les données du web deviennent de plus en plus fréquemment mobilisées dans les travaux empiriques en sciences sociales. En raison des possibilités de récupération massive de traces numériques et de leur volume conséquent, l’exploitation de ces données est souvent réduite à une approche quantitative qui semble aller de soi. En s’appuyant sur des résultats issus de cinq enquêtes qualitatives menées au cours des dix dernières années et qui mobilisent toutes des traces numériques en situation d’entretien, cet article montre cependant dans quelle mesure les données du web peuvent également représenter un matériau précieux et éclairant dans des démarches qualitatives, principalement à des fins de libération de la parole de l’enquêté. En marge des possibilités d’accompagnement voire de démonstration du discours, il reste que les opportunités liées à l’exploitation des traces numériques doivent s’accompagner d’une connaissance des biais et limites qui y sont associées.
Mots-clefs : Méthodes qualitatives, traces numériques, données du web, entretiens.
Leïla Baracchini et Mélanie Duval
« Partager des images, repenser le patrimoine rupestre : un projet de photographie participative avec les communautés !Xun et Khwe de Platfontein (Afrique du Sud) » (p. 135-179)
Résumé : Cet article revient sur un projet de photographie participative mené en 2022 avec des communautés san en Afrique du Sud. Ce projet résulte d’une démarche à la fois participative et collaborative entre une équipe de chercheurs (projet COSMO-ART ; ANR-21-CE27-0011), des institutions universitaires et culturelles sud-africaines et deux ONG locales. L’étude a pris place à Platfontein (Cap-Nord, Afrique du Sud), auprès de réfugiés de guerre !xun et khwe originaires d’Angola et de Namibie et devenus en 1997 propriétaires d’un site d’art rupestre sud-africain. Chargés d’étudier la relation entre ces communautés et le patrimoine rupestre, nous discutons dans cet article les apports de la photographie participative pour faire émerger une compréhension du patrimoine « par le bas », qui diffère significativement d’une perspective nationaliste, touristique et économique, pour mettre au contraire en évidence une vision du patrimoine ancrée dans les pratiques quotidiennes et le vécu des personnes.
Mots-clefs : Patrimoine culturel, art rupestre, photographie participative, Khoisan, Afrique du Sud, patrimoine du quotidien, territoire, méthode participative, autochtone.
Frédérique Jankowski
« Des pièces de théâtre forum pour explorer les sentiments d’injustice socio-environnementale au Sénégal. Une méthode d’enquête pragmatique » (p. 181-213)
Résumé : Comment saisir en situation les sentiments d’injustice socio-environnementale en tant qu’expérience ? Comment faire de ces sentiments des objets d’enquête partagée entre les chercheurs et les informateurs ? C’est pour répondre à de telles questions que des dispositifs d’enquête ont été développés à partir de performances de théâtre forum au Sénégal. Cet article présente ces dispositifs selon une perspective pragmatique. Cette méthode s’appuie sur la représentation de situations qui affectent de manière différentielle des acteurs constitués en public. Contrairement aux méthodes classiques d’enquêtes qualitatives, la dimension affective structure ces processus d’investigation. Une telle démarche répond d’enjeux éthiques de la recherche en définissant des situations d’enquête partagées entre chercheur et informateur. La parole des informateurs est au cœur du dispositif théâtral : parole mise en corps et en scène, elle devient critique et analytique dans le cadre des forums associés aux représentations. Cependant, l’article souligne certains effets de cadrage et risques éthiques associés à ces méthodes d’enquête qui ouvrent, en même temps qu’elles les explorent, la possibilité de nouveaux mondes.
Mots-clefs : Théâtre forum, enquête pragmatique, sentiments d’injustice, travail des émotions, relation enquêteur-informateur.
Marie-Julie Catoir-Brisson
« Renouveler la recherche qualitative par les méthodes sensibles et les médias du co-design pendant la Covid-19 » (p. 215-250)
Résumé : Cet article porte sur les dispositifs d’enquêtes mobilisés dans des recherches par le co-design dans des champs d’intervention diversifiés (santé, climat, risques naturels) en contexte de pandémie. Les méthodes sensibles et les médias du co-design jouent un rôle dans la méthodologie de recherche, pour s’immerger dans le terrain, coconstruire les projets avec les participants et communiquer sur le projet en cours. L’accent est mis sur la phase d’enquête avec divers matériaux : photographie, vidéo, illustration, médias sociaux. La mobilisation de ces médias dans l’enquête soulève des questions méthodologiques, abordées à partir d’exemples : comment ces méthodes ont émergé dans des situations particulières et avec des participants spécifiques ? Quels médias ont été mobilisés et avec quelles visées ? L’article souligne les contributions et défis méthodologiques de ces approches renouvelées de la recherche qualitative. L’enjeu est aussi d’analyser les relations affectives générées par ces médias pour aborder des sujets complexes impliquant la sensorialité et d’en proposer un cadre réflexif pour la recherche qualitative.
Mots-clefs : Dispositifs d’enquête, pandémie, méthodes sensibles, créativité méthodologique, médias, co-design.
Arthur Ducasse
« Libérer la parole de la routine. Expériences d’entretien à propos des mobilités pédestres à Bogotá (Colombie) et Lima (Pérou) » (p. 251-294)
Résumé : Cet article est une contribution aux débats portant sur les méthodes de recherche sur les mobilités. Il présente trois méthodologies ayant recours à des entretiens et leurs limites pour saisir les perceptions, les expériences et les pratiques de la marche quotidienne. Ancrée en géographie sociale, cette étude s’appuie sur un travail de terrain d’un an et demi, réalisé dans les métropoles andines (Bogotá, en Colombie, et Lima, au Pérou) combinant une phase d’entretiens semi-directifs, des parcours commentés et des entretiens de photo-élicitation. Outre les défis que présente une recherche en langue étrangère se fondant sur l’analyse du discours, cet article analyse la complémentarité des paroles collectées, tout en soulignant la difficulté de les libérer du vécu routinier. Des pistes intégrant le recours à l’image pour construire des connaissances sur les expériences et pratiques de la marche quotidienne sont proposées.
Mots-clefs : Marche, Bogotá, Lima, parcours commentés, entretien de photo-élicitation, routine.
Théa Manola et Camille Mortelette
« Enquêter les expériences sensibles ordinaires : outils, postures et résistances » (p. 295-331)
Résumé : Cet article vise à détailler la démarche méthodologique employée dans le cadre de l’enquête réalisée auprès des habitant.es de trois quartiers : les Champs Bleus (Vezin-le-Coquet), la Brasserie (Strasbourg), la Villeneuve (Grenoble). Il s’agira plus particulièrement de revenir sur des outils méthodologiques mobilisés dans ce cadre : les parcours commentés et les baluchons sensoriels. Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet de recherche PROSECO (ANR-20-CE22-0002-01). Nous préciserons, dans un premier temps, les raisons qui nous ont conduit à mobiliser des outils méthodologiques « peu classiques » qui restent cependant des outils issus des SHS mobilisés dans une perspective « académique » de la recherche. Nous présenterons aussi les outils en question en précisant comment ils ont été adaptés et mis en œuvre dans le cadre de cette enquête. Nous proposerons dans un second temps d’avoir une approche réflexive quant au(x) rôle(s) et place(s) des chercheur.es dans la mise en œuvre de l’enquête et les apports de ces outils. Dans une dernière partie, nous livrerons nos réflexions sur ce qui résiste, ce qui est questionnant, déstabilisant ou difficile quand on mobilise ces outils « peu classiques ».
Mots-clefs : Enquête, sensible, écoquartier, habitant-es.