Volume 18, numéro 1, 2022

Ines Bouguerra et Claude Vauthier

Avant-propos sur le thème  :  « Le retour du religieux » (p. 15-19)

Jean-François Laniel

« La thanatologie du catholicisme québécois. Variantes et limites contemporaines » (p. 21-48)

Résumé : Cet article explore les variantes ainsi que les limites de ce qu’il nomme la thanatologie du catholicisme canadienfrançais et québécois. Il recense trois de ces thèses, celles que l’on trouve le plus fréquemment dans la littérature intellectuelle. Pour chacune d’elles, il étudie les indicateurs retenus pour poser le diagnostic, la période de référence utilisée pour mesurer le déclin et, en cela, la norme religieuse retenue comme barème. Il s’agit, chemin faisant, d’étudier la construction intellectuelle contemporaine de l’objet catholique. En creux de cet article, le lecteur trouvera un plaidoyer pour l’étude du catholicisme tel qu’il existe ici et maintenant.

Mots-clefs : Sciences des religions ; catholicisme ; Québec ; Canada français ; sécularisation ; épistémologie ; les délaissés

Federico Carducci

« Quand le prophète revient dans la cité pour ramener la paix : le « retour du religieux » à l’épreuve d’un terrain africain. Le cas de l’Église tokoïste en Angola » (p. 49-83)

Résumé : Mobilisé souvent à partir du paradigme de la sécularisation et imprégné de sa vision normative, le concept de « retour du religieux » n’a jamais fait l’objet d’une mise à l’épreuve par le bas, qui en vérifie l’opérationnalité. À partir du cas d’une Église prophétique en Angola, l’Église tokoïste, et du retour de son prophète sur la scène politique nationale de l’après-guerre, ce travail propose de déconstruire les biais ethnocentriques et méthodologiques et de faire du concept de retour du religieux une notion opératoire. Pour ce faire, il met en avant une perspective qui rejette toute relation de causalité entre religion et modernité, et qui se focalise sur l’historicité du religieux, sur les formes hétérogènes d’autorité spirituelle et institutionnelle et sur les pratiques quotidiennes. Enfin, l’imbrication entre retour du religieux et fin de la guerre permet de comprendre la reconfiguration des rapports de pouvoir en Angola.

Mots-clefs : Retour du prophète ; historicité ; Angola ; autorité ; État

Nicolas Walzer

« Le retour « rationaliste » de la sociologie des croyances collectives. Mise en perspective et discussion critique de la posture rationaliste de Gérald Bronner » (p. 85-126)

Résumé : La sociologie des croyances collectives est une sous-discipline peu discutée en France. Gérald Bronner, dont c’est la spécialité, s’inscrit dans la lignée Max Weber-Raymond Boudon et entend y ajouter l’apport des sciences cognitives pour produire une sociologie cognitive qui se veut rationaliste. Or, certains la perçoivent avant tout comme une forme de militantisme scientifique ou de néo-scientisme. En cela, nous verrons qu’elle est en décalage avec les différentes postures méthodologiques des sociologies des religions ou d’autres chercheurs. Elle pose aussi la question épineuse des rapports entre sciences sociales et sciences cognitives. Le présent article comporte de nombreuses citations d’entretiens avec Bronner sur ces sujets.

Mots-clefs : Gérald Bronner ; sociologie des croyances collectives ; sociologie des religions ; sciences cognitives ; rationalisme ; individualisme méthodologique ; agnosticisme méthodologique ; militantisme scientifique.

Julien Dessibourg, Julia Itel et François Gauthier

« Transcendance immanente : Science, religion et métaphysique de la Nature » (p. 127-165)

Résumé : Cet article remet en question le récit selon lequel les sociétés modernes occidentales seraient sorties du religieux. L’argument est le suivant : 1) le récit de la separation des sphères de la réalité sociale (science, religion, politique, etc.) est un mythe ; 2) les différentes spheres sont, comme dans toutes les sociétés, apparues dans l’histoire, englobées et solidarisées par une métaphysique ; 3) cette métaphysique n’est pas de type transcendant comme dans les monothéismes, mais de type immanent, c’est-à-dire qu’elle fait référence non pas à un au-delà mais au monde dans lequel nous vivons ; 4) le coeur de cette métaphysique n’est plus Dieu, mais la Nature ; et 5) les représentations de la Nature sont omniprésentes en modernité. Ces différents constats invitent à procéder à de nouvelles analyses du religieux en modernité, par l’étude des représentations de la nature et l’abandon du dualisme ontologique chrétien, qui oppose systématiquement la métaphysique à la nature, ainsi que la transcendance à l’immanence.

Mots-clefs : modernité ; religion ; science ; métaphysique ; nature ; dualisme ; transcendance ; immanence

Jérémy Ianni

« L’émergence du pouvoir évangélique aux Philippines : analyse à partir du cas particulier d’un groupe réformé Born Again » (p. 167-201)

Résumé : La guerre contre la drogue menée aux Philippines depuis 2016 est soutenue par une majorité de la population. Certains alliés du président Rodrigo Duterte défendent le rétablissement de la peine capitale dans l’archipel, en se basant sur une argumentation théologico-politique. Ces alliés sont l’instrument d’un nouveau type de pouvoir évangélique qui se manifeste également aux États-Unis et au Brésil. À partir du cas particulier du groupe réformé Born Again et une partie des résultats d’une enquête menée entre 2019 et 2021, l’article présenté est ancré dans une perspective des sciences de l’éducation. Il vise à décrire la mise en oeuvre du pouvoir évangélique, ainsi que certaines de ses caractéristiques, en proposant une réflexion sur le changement de rapport au savoir qui s’opère par la mise en oeuvre de la doctrine évangélique et la question de la vérité du sujet, dont l’autorité civile s’est emparée.

Mots-clefs : groupes réformés ; autorité civile ; autorité religieuse ; vérité du sujet ; assujettissement

Hamida Azouani-Rekkas

« Processus de subjectivation religieuse en Algérie contemporaine : dynamiques d’individualisation et de communautarisation du croire en contexte évangélique-pentecôtiste kabyle » (p. 203-236)

Résumé : Cet article a pour objet d’explorer les interconnexions étroites entre les conversions au pentecôtisme en Kabylie et les logiques de quête d’autonomisation du sujet, dans un contexte de fortes régulations sociales et normatives. Alors que la piste de l’influence des mouvements évangéliques et leur offensive mondiale sur les groupes locaux a été largement exploitée pour rendre compte des conversions en Algérie, l’objectif ici est de démontrer que cette grille de lecture ne suffit pas à saisir les enjeux de l’émergence d’une nouvelle éthique observée au sein d’un groupe mû par un besoin de souci de soi. Nous nous efforcerons de centrer l’analyse sur le processus d’individualisation, une formulation qui peut être heuristique pour analyser le religieux non pas comme une entité invariable, mais comme un phénomène social ayant des interprétations variables liées au spatio-temporel. Cet article permet somme toute de voir que bien au-delà du changement des représentations et des pratiques, la question des conversions fournit un cadre d’analyse de l’agentivité des acteurs.

Mots-clefs : conversion ; politique ; religion ; pentecôtisme ; évangélisme ; islam ; Kabyles ; Algérie

Pamela Millet-Mouity

« Le protestantisme évangélique en mouvement : regard sur les théologies de la prospérité en contexte postcolonial. Exemples des fidèles noirs des classes moyennes et supérieures » (p. 237-303)

Résumé :  La théologie de la prospérité comme paradigme a fait l’objet de nombreuses analyses. Le plus souvent, cette abondance passe par la mobilisation des notions d’absence, de manque, d’insuffisance, d’attente, de passivité, de blocage, de misérabilisme, de fainéantise, en particulier dans les études qui se sont intéressées aux Églises d’Afrique ou d’Amérique latine. Pourtant, sur le terrain, derrière cette notion, nulles évidences, nulle homogénéité, mais une constellation de sens et de pratiques infiniment diverses, où s’entremêlent résurgence et création. Toutefois, en dépit de l’hétérogénéité de representations de ce qu’elle désigne et des réalités qu’elle implique, sa déclinaison au pluriel n’a pas fait florès en sciences sociales. Et c’est bien ce contraste entre spécificité du regard ethnographique et permanence d’une notion ethnographiquement désinformée qui pousse à la repenser. Cet article propose donc de revisiter cette notion, à la lumière des profondes recompositions que connaît le paysage protestant franco-belge et celui des circulations postcoloniales ces dernières décennies afin de mieux appréhender les différents jeux d’appropriation et de (ré)interprétation à l’oeuvre au sein de cette mouvance religieuse.

Mots-clefs : protestantisme ; pentecôtisme ; théologie de la prospérité ; Églises noires ; Églises africaines ; classes sociales

Claude Vautier

« Vous avez dit “relation” ? » (p. 305-329)

Résumé : La sociologie contemporaine est le siège de discussions nourries autour du terme « relation ». Ces discussions ne datent pas d’aujourd’hui et, déjà, voici plus d’un siècle, on en trouve les traces (quoiqu’à bas bruit, la querelle n’étant pas identifiée comme telle) chez des auteurs comme Georg Simmel ou ceux des Écoles de Chicago, vers 1890. La querelle a rebondi depuis que l’individualisme méthodologique s’est quelque peu retiré du devant de la scène après le décès de Raymond Boudon, en 2013. Cette querelle oppose ceux pour qui la sociologie relationnelle est essentiellement un interactionnisme qui se ramène le plus souvent à une posture individualiste et actionniste et ceux pour qui cette approche ne peut être vraiment conçue comme relationnelle et considèrent qu’il faut « partir de la relation » et non se ramener à l’individu. Cet article veut apporter quelques précisions sur cette dispute et proposer une voie de résolution de celle-ci.

Mots-clefs : actionnisme ; analyse structurale ; échanges ; individualism méthodologique ; modèle interactionniste ; paradigm relationnel ; relation ;  relation épistémologique ; relation ontologique ; structures ; sujet ; système

Georges Macaire Eyenga

« La prison ailleurs. Enquête sur les fonctions de l’enfermement carcéral au Cameroun » (p. 331-366)

Résumé : Cet article analyse les fonctions de la prison au Cameroun à partir d’une mise en débat de la pensée de Philippe Combessie dans la sociologie carcérale. Il procède dans un premier temps à une confrontation des fonctions classiques de la prison au contexte africain afin de dégager les continuités et les ruptures ; puis dans un second temps, il énonce une autre fonction de la prison, celle de domination analysée dans l’expérience coloniale et postcoloniale de la prison. L’analyse recourt à l’histoire et au néofonctionnalisme pour rendre compte de la manière dont le modèle-prison s’est diffusé dans les colonies pour servir l’impérialisme occidental et sa réappropriation par les ordres politiques des États indépendants africains. Il se dégage de cette étude que si l’universalité de la prison peut être affirmée, son historicité est à comprendre en la resituant dans les multiples expériences de sa traduction dans chaque continent.

Mots-clefs : prison ; fonction ; politique ; domination ; colonial ; État ; Cameroun

Ghislaine Gallenga et Olivier Wathelet

« Incertitudes et temporalités : du rôle de la sérendipité dans le contexte de l’anthropologie en entreprise » (p. 367-402)

Résumé : Le terrain de l’entreprise fédère de multiples approaches et constitue un lieu d’innovation méthodologique pour l’anthropologie. Il est investi par des anthropologues de différents horizons, qu’ils travaillent comme praticiens ou dans le monde académique. Pour autant, l’ethnographie comme méthode de recueil des données peut effrayer les entrepreneurs et les commanditaires d’une étude, car les caractéristiques d’une recherche anthropologique seraient fondées sur des régimes de temporalités qui se télescopent avec ceux de l’entreprise. Outre la durée même d’une enquête selon les canons de la discipline, l’incertitude quant au résultat d’une démarche de terrain et au type de livrable qu’il est possible de proposer au terme d’une intervention constitue un double frein à la rencontre entre ces deux univers. L’objectif de cet article est d’interroger le rôle de la sérendipité, entendu ici comme resultant d’une temporalité caractérisée par l’incertitude, dans le champ de l’anthropologie de l’entreprise. Après un bref état de l’art sur l’usage et le recours à la sérendipité en anthropologie, nous déplaçons la focale dans le champ de l’entreprise. Nous analysons ainsi, à travers des exemples ethnographiques issus principalement du champ du design, le rôle de la sérendipité en entreprise en context d’anthropologie appliquée et fondamentale à la fois comme risque mais aussi comme levier pour valoriser une intervention anthropologique. Cette valence positive accordée à l’incertitude et donc à la sérendipité permet de renforcer le lien entre une anthropologie académique et une anthropologie opérationnelle dans le champ de l’entreprise en privilégiant la démarche spécifique de l’ethnographie.

Mots-clefs : sérendipité ; temporalité ; incertitude ; entreprise ; anthropologie ; ethnographie ; design

Comptes-rendus de lecture

Patrick Loyer

La Confédération et la dualité canadienne, Valérie Lapointe-Gagnon, Rémi Léger, Serge Dupuis, Alex Tremblay Lamarche, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Perspectives de l’Ouest », 2020, 372 pages (p. 403-406)

Marcel Weaver

Une sorte de paradis paysan ? Une comparaison des sociétés rurales en Acadie et dans le Loudunais, 1604-1755, Gregory M. W. Kennedy, Québec, Septentrion, 2021, 294 pages (p. 407-409)

Karmen d’Entremont

Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie 1867-1970, Annette Boudreau, Sudbury, Éditions prise de parole, 2021, 234 pages (p. 411-414)

Cody Donaldson

Didactique du français en contextes minoritaires entre normes scolaires et plurilinguisme, Joël Thibault et Carole Fleuret (dir.), Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, coll. « Éducation », 289 pages (p. 415-419)