Isabelle Bianquis et Jean-Louis Yengué
« Avant-propos : du jardin urbain… à l’assiette : analyse des espaces des pratiques et des imaginaires » (p. 15-30)
Partie 1 : Politiques publiques, enjeux environnementaux et participation citoyenne
Serge Bernard
« Le regain des délaissés, la permaculture sur le sol vivant » (p. 33-62)
Résumé : Pour commencer l’auteur s’interroge sur la catégorie sémantique « agriculture urbaine » : qu’y a-t-il en effet de commun entre toutes les multiples activités rangées sous ce générique ? Son approche repose au début sur l’esquisse d’une exploration de la notion au travers de plusieurs espaces comparés à l’échelle du global, pour arriver au local avec l’observation de petites parcelles travaillées en sol vivant par des permaculteurs avec qui l’auteur débat depuis des mois. La première partie dégage les premières lignes de la mise en débat de ce qui pourrait être un corpus de références ou valeurs communes, aussi bien à l’échelle planétaire, celle du « désordre global » (Coline Serreau, documentaire, 2010) qu’à la micro-échelle, celle « des solutions locales » (ibid.).
Dans la deuxième partie, l’auteur analyse le sujet des espaces urbains délaissés, investis ou convoités par les permaculteurs urbains, qui s’entrecroisent avec les lieux de vie des délaissés sociaux. L’auteur croit y voir un possible retour de la forêt et le regain des lisières et marges. Il propose en synthèse l’idée que l’agriculture urbaine pourrait annoncer « une rupture anthropologique majeure » privilégiant la culture sur sol vivant et la fin du labour. Cet essai réflexif se nourrit d’échanges avec des permaculteurs urbains plus particulièrement proches de la pensée disruptive de Masanobu Fukuoka sur « l’agriculture sauvage » et le travail du « sol vivant », comme de celle des alter-architectes paysagistes et urbanistes qui ont théorisé les tiers-lieux dans la ville. L’auteur propose un autre regard des marges socio-spatiales dans la ville, spécialement des jardins de résistances à l’interstice de l’ombre des forêts et de la lumière crue et rase des défrichés.
Mots-clefs : transition ; lisière ; agriculture urbaine ; permaculture ; les délaissés
Carmen Cantuarias-Villessuzanne et Mathilde Vignau
« Analyser l’agriculture urbaine occidentale à travers la notion de capital environnemental » (p. 67-117)
Résumé : Expérimentée de longue date dans les pays émergents, l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) connaît un intérêt croissant dans les pays occidentaux depuis la fin du XIXe siècle. En France, les premiers exemples concrets de ces nouvelles pratiques agricoles en centre-ville ou en proche banlieue sont ceux des jardins ouvriers qui apparaissent dans le sillage de la Ligue française du coin de terre et du foyer, créée en 1896 à l’initiative de l’abbé Jules-Auguste Lemire. Plus tard, au début des années 1970, l’émergence concomitante du mouvement Green Guerillas et des community gardens. Depuis lors, les villes des pays industrialisés sont de plus en plus concernées par un changement de paradigme qui témoigne d’un retour en force de la campagne et de la nature en ville. Dans les faits, l’importance des nouvelles pratiques agricoles urbaines et périurbaines transparaît dans le sens où ces dernières suscitent l’intérêt de plusieurs institutions et gouvernements à toutes les échelles. En outre, les fonctions et les objectifs de l’AUP sont multiples et cette dernière pose à la fois la question des ressources alimentaires urbaines, de l’amélioration du cadre de vie, de la revalorisation de friches délaissées ou, plus généralement, du développement durable et de la préservation des écosystèmes naturels.
Polymorphe et multifonctionnelle et solution fondée sur la nature, l’AUP se distingue donc par une grande variété de pratiques agricoles qui foisonnent et se multiplient dans les villes françaises et européennes indépendamment de leur taille. Une telle diversité se traduit nécessairement par un nombre important de questionnements et de problématiques qui affectent directement les territoires urbains et périurbains. Cette contribution propose d’analyser les projets d’AUP en s’intéressant plus spécifiquement aux notions de capital naturel et de capital environnemental.
L’objectif de ce travail est ainsi d’analyser les modèles économiques impliqués dans l’AUP française, à travers une grille théorique de capital environnemental. Il s’agit pour nous d’éclairer d’une nouvelle lumière le concept déjà très documenté d’AUP, dans le but de formaliser à terme une nouvelle cartographie des projets d’AUP contemporaine en France.
Mots-clefs : agriculture urbaine et périurbaine ; capital environnemental ; capital naturel ; nature en ville
Fabien Jakob
« Dézonage des Terres agricoles d’Esperance au Québec : un enjeu agro-alimentaire et écologique » (p. 119-158)
Résumé : Par le prisme d’une sociologie de la justification (Boltanski et Thévenot), cette contribution démontre comment la révision participative et délibérative du Schéma d’aménagement de développement de l’Agglomération de Québec pourrait non seulement témoigner d’une évolution des attentes sociales vis-à-vis de l’agriculture à l’appui d’alternatives soutenant des pratiques plus raisonnables ou responsables, mais encore refléter un certain écologisme aspirant à une nouvelle forme de vivre-ensemble avec le monde naturel.
Mots-clefs : aménagement ; délibératif ; agriculture ; périurbain ; justification ; écologie
Amélie Robert et Yves Petit-Berghem
« L’agriculture urbaine face aux nouveaux défis de la ville nourricière et durable : approche géohistorique et nouvelles perspectives à partir des exemples de Tours Métropole Val de Loire et de la région Île-de-France (France) » (p. 159-215)
Résumé : L’agriculture urbaine est en plein essor en France et l’intérêt est tel qu’elle s’impose de plus en plus dans les politiques publiques. Pourtant, elle n’a pas toujours occupé cette place de choix : la ville a plutôt progressé au détriment de l’agriculture et c’est surtout sur des espaces marginalisés qu’elle s’impose aujourd’hui. Notre article porte ainsi un regard géohistorique sur l’agriculture urbaine, en se fondant d’abord sur la littérature existante ; nous montrons que nous sommes passés d’une marginalisation de l’agriculture à une agrarisation de la ville. Des exemples pris au sein de Tours Métropole Val de Loire (maraîchage et jardins familiaux) et en Île-de-France (délaissés urbains : micro-fermes urbaines et écoquartiers) sont l’occasion de questionner ensuite la place actuelle de l’agriculture dans une ville qui se veut désormais nourricière et durable, laissant imaginer son insertion dans la ville de demain.
Mots-clefs : agriculture urbaine ; approche géohistorique ; Val de Loire ; Île-de-France
Gérald Emmanuel Libongui, Noël Ovono Edzang, Jean-Bernard Mombo et François Laurent
« Activité maraichère dans les zones inconstructibles : une nouvelle stratégie d’adaptation à l’évolution urbaine à Libreville (Gabon) » (p. 217-245)
Résumé : Libreville connait ces dernières décennies une urbanisation accélérée, qui se fait aux dépens des espaces cultivés. Aujourd’hui, les acteurs du domaine agricole sont confrontés à l’insécurité foncière. Une analyse de la conversion des terres inconstructibles pour les besoins maraîchers sous la pression de l’expansion urbaine est présentée. L’objectif est, d’une part, d’identifier et évaluer la dynamique des espaces construits entre 2008 et 2020 et, d’autre part, de déterminer les stratégies des agriculteurs pour s’adapter à l’expansion du bâti. L’approche méthodologique utilisée combine les données satellitaires multisources, les entretiens et les enquêtes de terrain, afin de proposer une identification des facteurs explicatifs de la localisation des sites maraîchers actuels, grâce à une implémentation des données dans un SIG. Finalement, la cartographie de la dynamique des espaces agricoles montre l’évincement de l’agriculture par les constructions et l’évolution de la localisation des surfaces agricoles dans des espaces qui rassemblent plusieurs critères : les espaces délaissés par le bâti lié à l’inondation, mais aussi proches des zones urbanisées, sont progressivement occupés par les agriculteurs au fur et à mesure que la ville s’étend.
Mots-clefs : agriculture urbaine ; activité maraîchère ; zones inondables ; constructions ; analyse spatiale
Partie 2 : Fonctions alimentaires, économiques et sociales des territoires urbains cultivés
Charlotte Beaufils
« Les jardins collectifs urbains, des lieux au potentiel alimentaire inexploité : le cas parisien » (p. 249-283)
Résumé : Construit autour de l’exemple parisien, cet article s’inscrit dans le débat scientifique actuel sur la fonction alimentaire des jardins collectifs urbains. À partir de l’existence avérée d’une production de fruits et légumes dans les jardins collectifs parisiens, l’article entend interroger la contribution potentielle de ces espaces à l’alimentation de leurs usagers jardiniers. Il repose sur une enquête auprès des responsables de jardins collectifs, associée à l’analyse manuelle d’images aériennes de sites de jardinage et à la quantification de taux de production des volumes récoltes. Les résultats obtenus montrent que les jardins collectifs parisiens ne permettent pas de satisfaire les besoins de leurs usagers en fruits et légumes. Ils constituent une aide limitée pour accroître la quantité de fruits et légumes consommés par individu. En revanche, ils contribuent à améliorer leur alimentation sur le plan nutritif et social en enrichissant la diversité et la qualité de leur régime alimentaire tout en favorisant des temps sociaux autour de l’alimentation. Leur rôle alimentaire n’est donc pas à négliger au profit d’autres fonctions.
Mots-clefs : agriculture urbaine ; jardins collectifs ; fonction alimentaire ; production alimentaire ; télédétection ; quantification ; Paris
Sécou Omar Diédhiou, Alioune Badara Dabo, Oumar Sy et Christine Margetic
« Agriculture et système alimentaire urbain à Zinguinchor (Sénégal) : acteurs, circuits, pratiques et enjeux » (p. 285-326)
Résumé : Source d’aliments pour les populations, l’agriculture représente une activité économique clé pour les ménages urbains précaires et joue un rôle majeur dans le système alimentaire de la ville de Ziguinchor. Elle est caractérisée par une diversité d’acteurs organisés ou non en réseaux et ses produits passent par divers circuits de commercialisation contribuant ainsi à la sécurité alimentaire des citadins. Cette sécurité alimentaire constitue aujourd’hui l’un des enjeux majeurs de la ville liés notamment à la croissance démographique. Elle conduit à de nouveaux rapports entre acteurs de l’agricole et acteurs de l’urbain dans une ville en extension rapide. À travers l’approvisionnement des citadins en légumes, cet article revient sur les acteurs de l’agricole notamment les agricultrices, les circuits, les pratiques et les enjeux du développement de l’activité agricole dans la ville de Ziguinchor. Ces apprentissages sont autant de clés pour appréhender des bassins de production urbains, des liens, des réseaux et des circuits de distribution de produits alimentaires de proximité ou non dans la ville de Ziguinchor. L’analyse s’appuie sur un questionnaire et un corpus d’entretiens menés auprès des acteurs commerciaux (grossistes, détaillants, intermédiaires), de maraîchères et de consommateurs. Les résultats montrent une mobilisation de réseaux utilisés par divers acteurs et circuits de distribution de produits alimentaires. En outre, la diversité des acteurs, des réseaux, des flux mobilisés et des circuits contribue à favoriser des résultats en termes de sécurité alimentaire.
Mots-clefs : agriculture urbaine ; système alimentaire ; circuits courts alimentaires ; proximité ; sécurité alimentaire ; Ziguinchor ; Sénégal
Louise Clochey, Valérie Lavaud-Letilleul et Élodie Valette
« Porter une initiative d’agriculture urbaine en quartiers populaires : nouveaux acteurs du militantisme et de l’entrepreneuriat, perspectives dunkerquoises » (p. 327-381)
Résumé : L’agriculture urbaine, corrélée à la réponse aux crises et vulnérabilités, est mobilisée par divers acteurs dans un objectif de développement durable. Ses répercussions sociales semblent néanmoins contrastées. Cet article analyse les initiatives habitantes d’agriculture urbaine jardinière collective à Dunkerque, ville marquée par un modèle industriel déclinant, où ces dynamiques semblent peu marquées, et à Grande-Synthe, ville de sa Communauté Urbaine y portant une attention particulière. Nous analysons cinq initiatives et leurs porteurs, en interrogeant leur caractère alternatif, radical (supposé améliorer des conditions de vie des populations défavorisées) et néolibéral (supposé générer un accroissement des inégalités sociales). La place des populations défavorisées, majoritaires sur le territoire, et le rôle des politiques publiques dans l’émergence et l’orientation des initiatives d’agriculture urbaine sont particulièrement questionnées. Nous mettons en évidence l’affiliation hybride des initiatives aux composantes néolibérales, alternatives et radicales de l’agriculture urbaine, et l’impact de trajectoires individuelle et territoriales sur ces orientations.
Mots-clefs : agriculture urbaine ; Dunkerque ; militantisme ; entrepreneuriat
Anthony Tchékémian
« L’agriculture urbaine en Polynésie française : du traditionnel fa’a’apu au jardin collectif. Exemple du jardin de la résidence universitaire d’Outumaoro » (p. 383-413)
Résumé : La crise sanitaire actuelle interroge la capacité des systèmes de production, notamment agricoles et industriels, à faire face à des catastrophes. Les mesures de protection mises en place à l’échelon étatique incitent à un retour au local. Traditionnellement, depuis plusieurs générations, les Polynésiens cultivent un jardin familial, nommé fa’a’apu. Ce jardin leur permet de se nourrir, par les fruits et légumes cultivés, mais aussi de se soigner à l’aide de plantes médicinales. Dans une perspective résiliente, nous développerons l’exemple d’un jardin collectif, à l’initiative d’étudiants résidant à la cité universitaire. Ce jardin apparaît comme une réponse à l’augmentation des prix constatée depuis le début de la crise sanitaire. En outre, les étudiants, isolés et éloignés de leurs familles, constatent que le travail de la terre crée du lien social dans la résidence. De plus, ce jardin améliore leur cadre de vie et leur offre une occupation vécue comme apaisante, que certains relient à leur identité polynésienne, en invoquant la pratique du fa’a’apu.
Mots-clefs : Tahiti ; jardins collectifs ; campus ; résidence étudiante
Flora Rich et Yves Petit-Berghem
« Le jardinage-habitant et la transition écologique des petites villes sous influence métropolitaine : le cas de Magny-en-Vexin, Île-de-France, France » (p. 415-475)
Résumé : Située à une heure de Paris et à seulement 25 kilomètres de Cergy, Magny-en-Vexin est une commune du Val-d’Oise comptant près de 5 600 habitants. Environné de grandes cultures et de forêts, Magny s’inscrit dans un Parc naturel régional et est traversé par l’Aubette, une rivière autrefois aménagée pour les besoins domestiques et économiques de la ville, à la base du développement de son artisanat et de sa petite industrie (moulins, tanneries, chaiseries, sucrerie). Du faisceau d’activités humaines jadis rassemblées au fil de l’eau, les jardins sont parmi les derniers usages. Ils permettent de recréer un dialogue avec les habitants et leurs élus pas seulement préoccupés par le risque d’inondation d’une rivière dont on a voulu trop artificialiser le cours et les paysages. Les jardiniers sont les acteurs de nouvelles pratiques qui contribuent à redéfinir un sens mais aussi un rapport intime à ces espaces rivulaires dont on cherche à reconnaître « la valeur des lieux ». Au-delà de la clôture et de l’objet qui sépare, les jardins semblent constituer aujourd’hui un nouveau levier d’appropriation et de renouvellement d’un paysage historique ; ils participent à revitaliser un centre bourg et à mettre à jour une diversité de formes et de pratiques socio-spatiales induisant de nouveaux regards ainsi que de nouveaux agissements individuels et collectifs.
À partir d’enquêtes et d’observations in situ réalisées dans le cadre du programme de recherche action Popsu Territoires « Magny-en-Vexin, une petite ville sous influence métropolitaine… à la recherche de son territoire perdu », cette proposition entend démontrer que les jardins représentent une opportunité pour repenser les bases d’un projet urbain où l’avenir se dessine en commun.
Mots-clefs : territoire ; revitalisation ; jardins ; pratiques jardinières ; projet urbain
Partie 3 : Pratiques et représentations de l’agriculture urbaine
Francesca Di Pietro et Emmanuèle Gardair
« Faire son potager en ville. Normes sociales et contrôle de la nature dans les jardins familiaux » (p. 479-518)
Résumé : Cette étude concerne des espaces urbains particuliers, les jardins familiaux associatifs. Elle examine le poids respectif des normes du jardin contrôlé, sans végétation spontanée, et du jardin naturel, cultivé sans pesticides. Elle s’intéresse à l’effet du statut des jardiniers (simples jardiniers versus jardiniers-gestionnaires), de leur genre et du gradient urbain, appréhendé par la densité du bâti (faible, intermédiaire ou dense). Des entretiens semi-directifs relatifs aux motivations et aux représentations du jardinage ont été réalisés auprès de 46 jardinières et jardiniers (16 femmes et 30 hommes ; 17 jardiniers-gestionnaires et 29 simples-jardiniers). L’analyse textuelle a été réalisée à l’aide du logiciel Alceste. Trois univers lexicaux, relatifs aux pratiques de jardinage, au rapport à la nature et à la gestion des jardins ressortent des discours. Les résultats mettent en évidence l’effet du statut du jardinier et du gradient urbain. La prépondérance de la norme esthétique conduisant à la recherche d’un chimérique « beau potager » est discutée.
Mots-clefs : jardinage urbain ; jardins familiaux ; norme sociale ; norme esthétique ; analyse textuelle
Sophie Laligant
« L’œuf et la poule de réforme. Un fil rouge pour penser l’agriculture urbaine au temps de Covid-19 (Sarthe) » (p. 519-567)
Résumé : Débattre des reconfigurations des liens sociaux et territoriaux dans l’agriculture urbaine constitue un champ classique d’analyse autour des questions suscitées à l’échelle mondiale en ce début de XXIe siècle comme la détérioration de l’environnement et de la biodiversité animale et végétale, le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources et la précarisation économique des populations. Mais cette question ne s’est jamais posée avec une telle acuité que depuis le début de la pandémie liée au coronavirus. À la faveur du confinement et d’une ethnographie inédite recueillie dans l’ouest de la Sarthe, cet article mobilise la notion de désordre empruntée à Gregory Bateson qui entre directement en résonance avec une photographie du rayon œufs prise dans une GMS (Super U) le 27 mars 2020. Avec cet arrêt sur image, je souhaite renverser la focale en partant non pas des acteurs mais des objets, et déjouer certaines illusions où le végétal issu du travail de la terre serait l’unique prisme pour penser et « ordonner » notre conception de l’agriculture urbaine. Loin de la ville prise comme un invariant normé du fait de sa population, de son urbanisation et du type d’activité, l’œuf et la poule de réforme dévoilent de façon subtile, à travers les catégories vernaculaires, d’autres temporalités, d’autres vécus et investissements affectifs aux objets et aux espaces qui réarticulent nos repères et nos règles communes et qui rendent compte de considérations d’ordre écologique, économique, social et politique jusqu’alors inconnues.
Mots-clefs : écologie des catégories ; confinement ; ordre/désordre ; SARS-CoV-2 ; dysbiose
Sandrine Ruhlmann
« Note ethnographique sur le rôle social du potager et la considération des légumes en Mongolie postcommuniste. Un exemple d’une petite production maraichère périurbaine » (p. 569-616)
Résumé : Si la base de l’alimentation des familles mongoles, urbaines et rurales, nomades et sédentaires, demeure la viande et les produits laitiers – les produits qui nourrissent, font repas et sont socialement valorisés –, le régime alimentaire se modifie sur l’ensemble du territoire de façon notable depuis le début des années 2000. Sous l’impulsion d’une politique de santé publique de diversification alimentaire amorcée dans les années 1990, beaucoup de familles intègrent progressivement dans leur alimentation quotidienne des farineux (consistance) et des légumes (diverses propriétés nutritives et nutritionnelles). Ces produits sont cependant coûteux pour une majorité de foyers domestiques. Cet article présentera les activités d’une famille d’un petit village provincial de l’est de la Mongolie, qui cultive un potager de légumes en marge de ce village, dont une partie est destinée à approvisionner les membres de la famille élargie au niveau de la commune, ainsi que leur petit magasin d’alimentation générale au village. Après avoir décrit le lieu de production familiale et les produits cultivés, cette note tracera les contours des circuits informels et formels de ces produits pour mettre en évidence les liens sociaux et économiques créés, entretenus et mobilisés par les familles à différents desseins. Car ce potager est la source d’entraides économiques et sociales où les légumes cultivés et récoltés font l’objet d’échanges contre des biens et/ou des services.
Mots-clefs : agriculture ; potager ; alimentation ; consommation ; vente ; entraide ; réseaux ; Mongolie
Manon Bouliane et Josyanne Proteau
« Les potager domestiques québécois : du jardin archétypal au jardin pluriversel » (p. 617-656)
Résumé : Cet article propose une analyse de la forme et des fonctions des potagers domestiques, des activités et interactions qui s’y déroulent ainsi que des significations qu’ils revêtent pour leurs protagonistes. Aménagés sur des terrains privés attenants à une résidence principale, ces potagers sont révélateurs d’une certaine manière d’être au monde et témoignent des transformations s’étant opérées dans le jardinage d’autoproduction au cours des dernières décennies. Une enquête ethnographique menée dans la région de Québec a révélé l’existence de deux modèles de potagers : l’archétype du XXe siècle et le jardin pluriversel. L’article explore les dimensions esthétique et productive de ces jardins, le rapport particulier à la nature et aux non-humains qui les caractérise ainsi que les principaux vecteurs de l’économie morale dont ils sont l’expression. S’ils constituent une source de nourriture fraiche, ces potagers sont aussi le symbole de critiques adressées au système alimentaire conventionnel et à la société de consommation.
Mots-clefs : agriculture urbaine ; autoproduction ; jardins potagers domestiques ; Québec ; esthétique ; rapport à la nature ; économie morale