Claude Vautier
« Une modélisation relationnelle des configurations sociétales liées aux phénomènes d’émergence : un exemple de recherche dans le Maroc contemporain » (p. 11-82)
Résumé : Les sciences sociales, comme l’économie, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie et d’autres disciplines, tentent depuis plusieurs siècles d’expliquer comment les sociétés humaines vivent et se développent (ou s’effondrent). De nombreuses théories sont ainsi nées à travers de nombreuses controverses et de nombreuses déceptions. Pour les besoins de cet article, je divise ces théories en deux catégories : théories du développement économique et théories sociologiques. Les premières tendent à expliquer pourquoi certains groupes humains parviennent à générer de la croissance et du développement, les secondes s’efforcent de montrer comment les sociétés vivent et se transforment. Cette division est bien entendu discutable, mais permet de placer le regard sur les deux objectifs majeurs du texte, à savoir, d’une part, comprendre comment des groupes humains dans le Maroc contemporain ont réussi à développer et améliorer leurs niveaux et modes de vie, d’autre part, montrer que des modélisations différentes de celles qui sont couramment pratiquées en sciences sociales (fondées sur la prééminence explicative des individus ou des structures) sont possibles et apportent des angles de vue qui permettent de comprendre plus profondément et plus efficacement les systèmes sociaux sur lesquels nous voulons intervenir. La modélisation décrite ici est « relationnelle » et a été réalisée à l’aide d’un modèle analytique construit par l’auteur, dont le nom RISE est l’acronyme de « Relation, Individu, Système et Événement ». Cette modélisation a permis de décrypter la situation de trois sites sociétaux considérés initialement comme émergents au Maroc.
Mots-clefs : approche relationnelle ; configuration ; développement ; émergence ; événement ; individu ; modèle analytique ; modèle de développement ; relation ; système
Ines Bouguerra
« Essai de modélisation trialectique de la conversion religieuse » (p. 83-108)
Résumé : La conversion religieuse est considérée comme une forme du retour de la religion dans les sociétés séculières. Afin de comprendre cette métamorphose du paysage religieux, plusieurs disciplines se sont intéressées à l’étude des causes de la conversion religieuse. Pourvue d’appareils conceptuel et théorique, chaque discipline a apporté des éléments de connaissances qui ont contribué à la compréhension des causes de la conversion religieuse. Cependant, ces connaissances monodisciplinaires ont conduit à l’éclatement de cet objet de recherche. Cet article est donc une tentative de concilier les diverses lectures de la conversion religieuse. Tout d’abord, nous soulignons la dissémination des connaissances qui traitent des causes de la conversion religieuse. Ensuite, nous préparons le terrain pour une lecture interdisciplinaire en adoptant la théorie relationnelle. Enfin, nous échafaudons le décor d’une modélisation trialectique des liens de causalité de la conversion religieuse. Il s’agit d’une proposition qui a été soumise à l’épreuve de l’empirie dans le cadre d’un projet de doctorat afin d’en examiner la vitalité.
Mots-clefs : conversion religieuse ; complexité ; interdisciplinarité ; théorie relationnelle ; modèle trialectique ; lien de causalité
Sophie Del Fa
« Ce qu’être anticapitaliste veut dire : une approche constitutive » (p. 109-143)
Résumé : Cet article montre comment l’approche constitutive de la communication constitutive (ACC) permet d’étudier une organisation se revendiquant de l’anticapitalisme. Plus précisément il s’agit de comprendre comment le paradigme constitutif, en observant minutieusement la mise en relation des actrices et des acteurs (humains et non humains) permet de saisir l’anticapitalisme comme étant travaillé, c’est-à-dire réalisé, fait, mais aussi défait de l’intérieur, dans la remise en jeu perpétuelle de valeurs, parfois contradictoires. Dans cette perspective, nous mobilisons l’ACC comme une théorie opératoire pour dégager ce que signifie être anticapitaliste dans une université d’éducation populaire québécoise (l’UPop Montréal). L’article répond à la question « qu’est-ce qu’être anticapitaliste veut dire ? » en proposant de considérer l’anticapitalisme comme étant mû par des processus de différenciation qui modifient la relation que l’organisme entretient avec ce positionnement idéologique. Il s’agit d’une perspective nouvelle et originale pour saisir au plus proche des interactions les complexités de l’anticapitalisme.
Mots-clefs : approche constitutive de la communication ; CCO ; anticapitalisme ; ethnographie organisationnelle ; processus
Myriam Richard et Roxane Caron
« Réalités (in)visibles et vulnérabilités ambivalentes : dialogue autoethnographique autour d’un terrain de recherche auprès de femmes réfugiées au Liban » (p. 145-179)
Résumé : Cet article vise à effectuer un retour réflexif inspiré de la méthode de l’autoethnographie s’appuyant sur un dialogue à propos d’un terrain de recherche que ses deux autrices ont effectué conjointement au Liban auprès de femmes réfugiées syriennes. Il s’articule autour du questionnement central, à savoir : à quoi sert la recherche si elle n’est pas associée à un engagement à transformer les situations de vulnérabilités et de violences que vivent les personnes réfugiées ? Afin d’y répondre, les chercheures et autrices dévoilent deux récits personnels qui éclairent leurs motivations intrinsèques à s’impliquer sur le terrain libanais. Elles explorent ensuite trois thèmes ayant émergé de leur dialogue à propos : 1) des enjeux d’un terrain de recherche auprès de femmes qui sont encore en déplacement et dans l’urgence ; 2) d’une remise en question de la notion de vulnérabilité en travail social ; 3) de l’engagement des chercheures à l’intersection des postures de recherche, d’intervention et de défense de droits. Elles jettent ainsi les bases d’un plaidoyer pour une recherche engagée qui permet la production de connaissances rigoureuses tout autant que la transformation sociale des enjeux que vivent les personnes réfugiées.
Mots-clefs : autoethnographie ; femmes réfugiées ; Liban ; vulnérabilité ; recherche engagée
Christophe Providence
« L’aide au développement en Haïti : des réponses paradoxales aux déséquilibres territoriaux » (p. 181-217)
Résumé : Cette étude cherche à expliquer les externalités locales générées par le système d’aide au développement territorial en Haïti. En prenant en compte les échelons territoriaux dans lesquels les projets sont réalisés, elle s’interroge sur les modes de répartition des flux financiers et humains par rapport aux besoins de développement exprimés par les populations locales. Deux phénomènes attirent alors l’attention : les acteurs locaux en interaction avec d’autres acteurs externes (1) et les externalités locales à partir de l’introduction des projets locaux dans les territoires (2). Nous proposons dans ce papier une analyse exploratoire des données géo-référencées qui consiste en un ensemble de techniques permettant de décrire et de visualiser les distributions spatiales des projets locaux. La prise en compte des externalités socioéconomiques dégagées par le système d’aide au développement renvoie au phénomène d’hétérogénéité spatiale qui caractérise les projets locaux. Les résultats de l’analyse montrent la réponse paradoxale de l’aide au développement qui ne fait qu’accroître la dépendance des acteurs locaux vis-à-vis des experts importés et renforcer les disparités territoriales.
Mots-clefs : aide au développement ; développement territorial ; externalités locales ; acteurs locaux ; projets locaux ; Haïti
Acheton Altenor
« Les causes économiques et socio-politiques du passage de la régionalisation à la départementalisation en Haïti » (p. 217-248)
Résumé : Les années 1970 marquèrent le début des préoccupations en matière de disparités spatiales et d’organisation rationnelle de l’espace en Haïti. Les différentes études qui furent menées au cours des années 1970 et au début des années 1980 soulignèrent la nécessité de faire le choix de l’approche régionale pour lutter contre les disparités spatiales à travers une politique d’aménagement du territoire centralisée. Cependant, environ six ans après l’élaboration du premier schéma national d’aménagement du terroir du pays, l’approche régionale fut abandonnée au profit de la départementalisation à partir du vote de la constitution du 29 mars 1987 qui prône la décentralisation territoriale. Cet article se propose d’expliquer les causes économiques et socio-politiques du passage de la régionalisation à la départementalisation en Haïti. Plus spécifiquement, l’auteur soutient qu’un ensemble d’événements du contexte économique et socio-politique mondial des années 1970 et 1980, combinés à une situation économique et socio-politique interne, ont rendu inenvisageable le maintien de l’approche régionale telle qu’elle a été conçue et expérimentée en Haïti.
Mots-clefs : Haïti ; disparités spatiales ; approche régionale ; aménagement du territoire ; régionalisation ; départementalisation ; décentralisation territoriale