Volume 15, numéro 1, 2019

Mélanie Girard

« Avant-propos » (sur le thème du tatouage) (p. 15-18)

Jean-Pierre Albert

« Corpus religiosum. La question des marques corporelles dans le christianisme latin » (p. 19-43)

Résumé : La recherche de marques corporelles en contexte chrétien (ici réduit au seul christianisme latin) offre un panorama contrasté. Les modalités de l’inscription de l’identité religieuse dans le corps laissent presque entièrement de côté le domaine, pourtant fourni à l’échelle des religions du monde, de marquages rituels intentionnels (mutilations, tatouages, etc.). Les ancrages corporels d’un habitus chrétien offrent une plus large moisson, s’agissant en particulier des pratiques concernant les seuls spécialistes ou virtuoses religieux, avec les aspects ascétiques et pénitentiels de l’excellence dévotionnelle. La rubrique la mieux pourvue est celle de marques supposées d’origine surnaturelle, dont l’exemple le plus typique est la stigma¬tisation. L’étude essaie de comprendre cette situation en la mettant en relation avec les spécificités de la théologie chrétienne, tout en prenant en compte leur rencontre avec des déterminants anthropologiques généraux du religieux.

Mots-clefs : théologie et anthropologie chrétiennes, virtuoses religieux, ascétisme, dolorisme, extase, phénomènes paramystiques, stigmatisation.

Simone Wiener

« Le tatouage comme archive, de la trace de l’écriture à l’écriture de la trace » (p. 45-63)

Résumé : Ces dernières années, les tatouages font l’objet d’un véritable engouement mais, à la différence de ceux des sociétés traditionnelles, ce sont des motifs originaux et choisis individuellement.
Comment saisir cette pratique qui consiste à inscrire quelque chose sur la peau, de façon indélébile ? Pourrait-elle avoir la fonction de nous arrimer à un lieu, à un nom, à un collectif ?
Je partirai du corps en tant qu’espace pour ouvrir ma réflexion sur la pluralité des tatouages.
Je ferai quelques hypothèses sur les formes différentes d’inscriptions corporelles allant du stigmate à la parure érotique donnée à voir jusqu’à la marque identitaire. Le tatouage, dans certains cas, pourrait-il constituer une sorte d’appui symbolique, l’écriture d’une trace visible sur le corps dont la nécessité serait d’empêcher l’oubli ?

Mots-clefs : tatouage, trace, écriture, stigmate, pulsion scopique, érotique, marque, identité.

Catherine Rioult

« De la scarification au tatouage : une écriture intime » (p. 65-92)

Résumé : Dans les sociétés traditionnelles, le corps sert de carte d’identité. L’anthropologie a mis en évidence que le corps marqué par des scarifications et/ou des tatouages porte le système de signes d’un groupe social qui permet à un individu d’en identifier un autre au premier regard.
La psychanalyse permet, elle, d’accéder au discours que le jeune ne peut pas énoncer verbalement mais qu’il inscrit sur sa peau, dans les scarifications et les tatouages.
L’histoire de plusieurs adolescentes, au travers de leur parcours psychothérapeutique, montre comment elles sont passées des scarifications qu’elles s’infligeaient dans le secret de leur douleur de vivre à un tatouage choisi et assumé aux yeux de tous.
Le tatouage, élément ornemental de marquage corporel, a eu pour elles une fonction de sublimation de leurs pulsions destructrices.

Mots-clefs : anthropologie, psychanalyse, corps, scarifications, tatouages, sublimation.

Mélanie Girard, Simon Laflamme et Claude Vautier

« Représentations du tatouage : le paradoxe de la différenciation et de l’assimilation » (p. 93-171)

Résumé : La technique du tatouage serait, en principe, aussi vielle que l’humain. Réservée à peu près exclusivement aux sous-cultures de la déviance pendant la majeure partie du XIXe siècle, on voit s’étendre son usage, en Occident, depuis les années 1980, 1990, période pendant laquelle on assiste à une expansion des modifications corporelles en général. La question se pose donc de savoir comment expliquer cet engouement récent pour les bodmods dont, au premier chef, le tatouage. Dans ce texte, nous soute¬nons, d’une part, que sa montée en popularité peut s’expliquer par une épistémè qui prend racine dans quatre phénomènes distincts, mais interreliés : le rapport à l’espace qui se noue dans les années d’après la première guerre et qui se cristallise en 1969 avec les premiers pas sur la lune ; la montée en puissance des super héros, portés par des plateformes comme Marvel Comics et DC Comics ; la révolution sexuelle et le mouvement hippie qui en est le corollaire ; l’apparition d’internet et des réseaux sociaux en particulier. Nous avançons, d’autre part, que le fait de se faire tatouer ne peut être qu’un geste à la fois individuel et collectif, qu’en se singularisant, on intègre forcément une communauté, les sociétés humaines ne pouvant se construire que sur une logique du para¬doxe, d’une tension nécessaire entre homogénéité et différenciation. À travers les données tirées d’une enquête franco-canadienne et en distinguant entre personnes non tatouées, peu tatouées et très tatouées, nous démontrons que, bien que la dimension artistique soit plus présente dans le discours français et la dimension symbolique, plus caractéristique du propos canadien, le tatouage éveille globalement, chez les individus interrogés, des référents liés à sa dimension artistique et esthétique, à la santé et au fait qu’il amène à transgresser des normes et à repousser ses limites physiques et psychologiques. Le tatouage apparaît ainsi comme un processus individuel qui inscrit dans le collectif, le rapport au collectif étant tantôt extérieur, tantôt secondaire, tantôt implicite, tributaire qu’il est du fait que l’on soit plus ou moins tatoué.

Mots-clefs : tatouage, modifications corporelles, épistémè, espace, super héros, révolution sexuelle, internet, individuel, collectif, homogénéité, différenciation.

Bernard Andrieu

« Se détatouer : furtivité identitaire ou vivacité corporelle ? » (p. 173-203)

Résumé : Le détatouage pourrait être compris comme un efface-ment : effacer son passé pourrait être le moyen de recommencer à zéro, de retrouver une peau d’origine et de donner un sens nouveau à sa peau. Si le sel a pu être utilisé sans succès, les nouvelles techniques font l’objet d’évaluation et d’évolution.
Mais les techniques d’effacement sont si invasives et comportent de telles séquelles que le détatouage apparait bien comme un désengagement assumé et risqué : tant du point de vue de l’état de la peau détatouée, qui ne revient jamais à l’état de page blanche sur laquelle on pourrait réécrire immédiatement, que du point de vue physiologique qui voudrait renouveler l’âge de la peau.
Nous démontrons qu’il n’y a pas un arrangement avec sa peau mais un « agenrement » à opérer pour redonner un style et un genre à un corps déconsidéré par ce qui serait maintenant un défaut à éliminer.

Mots-clefs : détatouage, effacement, vivacité, remords.

Article hors thème

Gérard Amougou

« Le concept de sujet-entrepreneur : analyse de nouvelles formes de subjectivités à partir d’une enquête effectuée au Cameroun » (p. 207-245)

Résumé : Cet article est un effort de conceptualisation du sujet-entrepreneur, effectué à partir d’une recherche de terrain au Cameroun. S’il émerge au sein d’un environnement précarisé, ce sujet semble préserver certaines spécificités qui le distinguent des formes d’entrepreneurs connus jusque-là et des acteurs émergents révélés par la littérature. Se présentant au départ comme une individualité en constant procès, le sujet-entrepreneur se construit progressivement comme un individu-sujet-acteur qui informe les transformations sociales en coulisse tout en offrant un matériau inédit aux nouvelles sociologies du sujet.

Mots-clefs : sujet-entrepreneur, individu, sujet, acteur, subjectivation, bricolage.

Interprétation de texte

Cyrille Rigolot et Leonardo Orlando

À propos de

Quantum Mind and Social Science. Unifying Physical and Social Ontology (Alexander Wendt, Cambridge University Press, 2015, 354 pages)

Compte-rendu de lecture

Ali Maina

L’aventure de la recherche qualitative. Du questionnement à la rédaction scientifique,
Stéphanie Gaudet et Dominique Robert, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, coll. « Praxis », 2018, 270 p.