Denis Martouzet
« Avant-propos : Agir grâce à, avec, pour, face à, malgré, contre, sans la nature ? » (p. 15-22)
Frédéric Ducarme
« Qu’est-ce que la nature qu’on cherche à conserver ? Une approche sémiologique de l’action écologique » (p. 23-60)
Résumé : L’écologie est passée au cours du XXe siècle de science descriptive à science de l’action. Cette métamorphose contraint à adapter tout un vocabulaire théorique à l’épreuve du concret. Or, cette translation n’est pas facile. Si la large majorité des acteurs sociaux s’accordent quant à la nécessité de « protéger la nature », des controverses profondes s’élèvent dès qu’il s’agit de mettre en action cette préservation : que doit-on faire, sur quoi doit-on agir quand on veut protéger « la nature »? Qu’est-ce que la « nature », en somme? C’est à cette question que ce texte propose de répondre, en retraçant tout d’abord la généalogie de ce terme dont le sens n’a jamais été clair, puis en isolant un certain nombre de définitions dominantes, renvoyant chacune à une conception de la nature bien spécifique, et supposant donc des actions de protection distinctes. Plutôt que d’arbitrer de manière jupitérienne (comme s’y sont essayés sans succès de nombreux penseurs), nous proposons d’intégrer toute cette complexité du phénomène nature dans les démarches de protection de la nature, qui doit être pensée dans une acception large, transdisciplinaire et transculturelle.
Mots-clefs : nature, sémiologie, pragmatique, philosophie environnementale, conservation, écologie, lexicologie.
Aurélien Allouche
« La sociologie de l’environnement au défi de l’intendance écologique. Comment repenser l’action individuelle dans la gestion collective de l’environnement ? » (p. 61-108)
« La sociologie de l’environnement au défi de l’intendance écologique. Comment repenser l’action individuelle dans la gestion collective de l’environnement ? » (p. 61-108)
Résumé : Les paradigmes d’intendance écologique se développent aussi bien dans les sciences de l’environnement que dans la gestion des aires protégées. Le concept d’intendance, encore récent en France, ne trouve aucune correspondance dans les théories sociologiques de l’action. Cette situation soulève de nombreuses difficultés pour la recherche interdisciplinaire. Cet article examine différentes théories de l’intendance sous l’angle des théories de l’action qu’elles supposent, afin de contribuer à une conception sociologique de l’intendance. Trois études de cas sont utilisées à cette fin.
Mots-clefs : intendance écologique, actions individuelles, action collective, gestion publique-privée, Camargue, Alpilles, Étang de Berre.
Bertrand Sajaloli et Étienne Grésillon
« L’Église catholique et l’anthropocène : 50 ans de positionnement doctrinal » (p. 109-152)
Résumé : L’Église catholique, accusée par Lynn White (1967) d’être impliquée dans les crises environnementales planétaires, a peu à peu construit une réponse philosophique et spirituelle en faveur du respect de la création en remobilisant les tensions anciennes entre les deux principales traditions chrétiennes de la nature, l’anthropocentrisme et le théocentrisme Avec l’encyclique papale de François Laudato si (2015), elle prône aujourd’hui sobriété, réduction de la consommation en même temps qu’elle engage les croyants du monde entier à adopter des comportements écologiquement plus vertueux. C’est cette trajectoire doctrinale qui est analysée : aboutissement de 50 années de pensée religieuse de l’environnement, l’écologie chrétienne est confrontée à l’histoire récente de l’écologie et notamment à celle de l’écologie politique. Appartenant à la cité, l’Église a construit son discours en trois grandes étapes en fonction des courants de pensée (dont l’anthropocène) qui traverse la société civile, des catastrophes environnementales majeures (Tchernobyl, changement climatique) et des grandes scènes politiques comme les sommets de la Terre de Rio 1992 et 2012.
Mots-clefs : Église catholique, écologie politique, anthropocène.
Marion Brun, Francesca Di Pietro et Denis Martouzet
« Les délaisses urbains : supports de nouvelles pratiques et représentations de la nature spontanée ? Comparaison des représentations des gestionnaires et des habitants » (p. 153-184)
Résumé : Les délaissés urbains sont des espaces sans fonction officielle et en rupture avec le tissu urbain environnant. Espaces transitoires présentant souvent une végétation spontanée, les délaissés constituent un habitat pour de nombreuses espèces végétales et leur intérêt pour la biodiversité urbaine est maintenant reconnu. Ils représentent aussi des lieux privilégiés pour augmenter le contact des habitants avec la nature et répondre à la croissante demande sociale de nature en ville. Par ailleurs, l’intérêt des délaissés urbains comme objet d’aménagement est largement documenté en urbanisme; toutefois les représentations des urbanistes et gestionnaires sur les délaissés ont été peu étudiées. L’objectif de ce travail est d’explorer les représentations comparées des délaissés urbains par les gestionnaires (propriétaires et non propriétaires de délaissés) et les habitants riverains de ces espaces. Une méthodologie spécifique d’enquête pour chaque type d’acteur a été mise en place sur nos sites d’étude, les agglomérations de Tours et Blois. Une partie des habitants riverains adoptent sur les délaissés des pratiques temporaires, qui sont souvent tolérées par les propriétaires et n’affectent pas les usages définitifs du terrain, qui sont principalement la construction et la commercialisation des délaissés, lorsque les terrains sont constructibles. Malgré des points de vue contrastés entre gestionnaires et habitants, les délaissés sont majoritairement représentés comme des espaces non entretenus, abandonnés, végétalisés et temporaires. Toutefois pour certains habitants ce devenir incertain revêt un aspect positif, car il est associé à une idée de « liberté » qui confirme la demande sociale d’espaces de respiration dans la ville de la part de certains habitants. Deux pistes pour une meilleure intégration des délaissés dans la ville sont formulées en conclusion, qui permettraient de valoriser pour les habitants, mais aussi pour les gestionnaires, ces espaces urbains en attente.
Mots-clefs : délaissés urbains, végétation spontanée, représentations
et usages, naturalité, nature en ville.
Déborah Bekaert et Saïda Houadfi
« Visiteurs et personnels de zoos urbains : une approche sociogéographique des liens entre conception de la nature et actions » (p. 185-230)
Résumé : Cet article émane d’un travail pluridisciplinaire autour des rapports qu’entretiennent l’humain et ses institutions avec le monde animal : à partir de l’exemple de trois zoos urbains, géographie et sociologie conversent sur la façon dont les actions mises en place dans le cadre de ces espaces influencent la conception de la nature des acteurs, visiteurs mais aussi professionnels exerçant dans ces zoos. Le traitement et l’analyse d’une vingtaine d’entretiens semidirectifs et d’observations in situ mettent en exergue l’ambivalence de l’impact des actions des zoos sur le public. Tout en maintenant une fonction de distraction et de loisir, le zoo défend sa place d’acteur engagé dans la conservation des espèces animales, toutefois, la permanence de son existence nuance son efficacité à protéger durablement la nature des effets pervers des activités anthropiques.
Mots-clefs : zoo, captivité animale, actions, sensibilisation, nature.
Claire Graziani-Taugeron et René Audet
« Dynamiques associatives territoriales, représentations sociales de l’environnement et insularité : une analyse de l’action collective en Corse et aux Îles-de-la-Madeleine » (p. 231-267)
Résumé : Les associations de protection de l’environnement sont les interlocutrices privilégiées des pouvoirs publics dans les phases de concertation et de planification des projets d’intervention dans l’environnement. Elles sont alors vectrices de certaines représentations sociales de l’environnement et tentent d’inscrire celles-ci dans les dispositifs publics. Cherchant à comprendre quelles sont les représentations de l’environnement mobilisées dans les discours et les actions de protection de l’environnement en milieu insulaire (en Corse et aux Îles-de-la-Madeleine), nous démontrons qu’il existe des « déterminants territoriaux » à l’engagement en faveur de l’environnement car les représentations traditionnelles, symboliques et identitaires du territoire sont souvent fortement ancrées dans les dynamiques associatives. C’est pourquoi nous proposons la notion de dynamiques associatives territoriales qui lie les institutions de gouvernance, les représentations sociales de l’environnement et les enjeux de l’action collective environnementale. Ce triptyque conceptuel permet de comprendre comment l’action collective s’inscrit dans le territoire et comment la nature à « défendre » s’inscrit dans l’action.
Mots-clefs : engagement environnemental, insularité, représentations sociales de l’environnement, associations de protection de l’environnement, Corse, Îles-de-la-Madeleine.
Fabien Jakob
« Consécration de pratiques collectives de gestion du risque d’avalanche » (p. 269-300)
Résumé : Mettant en évidence des registres différents de représentations et activités, d’interactions et actions de prévention et d’intervention qui participent d’une réduction importante de la vulnérabilité des territoires, des populations et de certaines infrastructures collectives (électrique, télécommunication, transport, eau…), la maîtrise du risque d’avalanche en Suisse fait l’objet d’une forme de reconnaissance qu’il s’agit d’analyser ici sous l’angle de processus de coordination et de co-gestion mobilisant un ensemble d’expériences individuelles et collectives annonciatrices d’un possible tournant participatif.
Mots-clefs : actions, justification, risque, collectif, avalanche, patrimonialisation.
Article hors thème
Denis Mayer
« Comparaison entre les étudiants de première et de seconde génération : engagement, rendement et persévérance » (p. 303-333)
Résumé : Cet article résume une recherche qui compare les étudiants de première et de seconde génération sur des facteurs d’engagement, de rendement et de persévérance en lien avec la langue du programme d’études à l’Université Laurentienne de Sudbury. La recherche a porté sur 514 étudiants en première année d’études inscrits dans des programmes de langues française ou anglaise dont 54 % étaient de la première génération, 91,4 % étaient citoyens canadiens et 83,5 % étaient de la race blanche; les femmes comptaient pour 73 % de l’échantillon.
Dans l’enquête, les étudiants de première génération étaient en moyenne plus âgés, en majorité des femmes, ils étaient inscrits à moins de cours et avaient fréquenté dans une plus forte proportion un collège avant d’arriver à l’université. Ils habitaient hors campus en plus grand nombre et, pour eux, l’intention de faire des études au doctorat était plus rare. L’instrument NSSE 2014 a fait voir neuf différences entre les étudiants de première et de seconde génération sur les questions/énoncés d’engagement. Les analyses sur la langue du programme d’études (français/anglais) ont montré des différences significatives pour 24 questions/énoncés. Les étudiants inscrits dans des programmes de langue française avaient un rendement supérieur quant aux crédits réussis. Toutefois, les analyses n’ont montré aucune différence entre les groupes quant à la persévérance dans les études, ce qui a conduit à mettre en doute la variable utilisée à cette fin.
Soixante-seize individus ont livré des remarques sur la qualité de leur expérience universitaire et avancé des recommandations pour l’établissement. Les commentaires furent rapportés en neuf catégories, quatre portant sur des aspects scolaires et cinq sur la vie étudiante. En gros, les remarques ont appuyé ou accentué les résultats des analyses quantitatives. La convergence d’opinions entre les groupes témoigne d’une appréciation plutôt comparable sur l’expérience éducative et le choix de l’établissement.
Somme toute, l’enquête a montré que la théorie de l’engagement parvient à relever des différences selon le statut de l’étudiant, mais davantage pour la langue du programme d’études, soit le français ou l’anglais. Les étudiants de première et de seconde génération qui étudiaient en français étaient plus engagés que les autres sur un nombre de variables de l’outil NSSE.
Mots-clefs : étudiant de première génération, études postsecondaires, études universitaires, éducation, engagement dans les études, groupes sous-représentés, sciences humaines, sciences sociales, sociologie de l’éducation, interdisciplinarité, langue d’usage.
Comptes-rendus de lecture
Taylor Aymar
Canadian Organized Crime, Stephen Schneider, Toronto, Canadian Scholars, 2018, 364 p. (p. 335-337)
Yvette Comeau
Dans la langue de l’autre. Se construire en couple mixte plurilingue, Anne-Christel Zeiter, Lyon, ENS Éditions, 2018, 302 p. (p. 338-341)
Natalie Robichaud
Strategic Planning for Public and Nonprofit Organizations, John M. Bryson, Hoboken, John Wiley and Sons, 5e édition, 2018, 513 p. (p. 342-345)
Paul Jalbert
Faire parler les données. Méthodologies quantitatives et qualitatives, Jean Moscarola, Paris, Éditions EMS, 2018, 257 p. (p. 346-349)
Volume 14, numéro 2, 2019