Ali Reguigui et Julie Boissonneault
Avant-propos. Prolégomènes à une linguistique de la complexité (p. 13-16)
Amr Helmy Ibrahim
Une mesure unifiée de la complexité linguistique : l’analyse matricielle définitoire (p. 17-80)
Résumé : Cet article essaie de démontrer qu’il est possible d’avoir une mesure unifiée et standardisée de la plupart des types de complexité linguistique quelle que soit la langue à condition de recourir à un système de description et d’interprétation du fonctionnement des langues – en l’occurrence l’analyse matricielle définitoire (AMD) – qui s’appuie sur cette propriété remarquable des langues naturelles de pouvoir se décrire avec leurs termes les plus courants à travers la construction de classes d’équivalence au sein desquelles les faits grammaticaux – principale source de complexité – sont « décomplexifiés » et mesurés en termes d’opérations régulières de réduction.
Mots-clefs : Analyse matricielle, complexité linguistique, grammaire, linguistique générale, lexique-grammaire, syntaxe, métalangue, autonymie, grammaticalisation.
Sara Vecchiato et Sonia Vanna Gerolimich
La langue médicale est-elle « trop complexe »? (81-122)
Résumé : Cette contribution analyse la nature fondamentalement complexe de la langue médicale. Les auteures montrent que cette complexité permet la densification du contenu informationnel et donc une transmission efficace des informations entre spécialistes. Toutefois, certains aspects de cette complexité peuvent constituer un obstacle entre les professionnels de la santé et les profanes, ainsi qu’entre les spécialistes eux-mêmes. Les auteures proposent alors la notion d’hypercomplexité, pour cerner les cas où la complexité perd sa fonctionnalité. La frontière entre complexité et hypercomplexité est une question de (dis) proportion entre le contenu notionnel d’une forme linguistique et l’effort requis pour la comprendre. Nous proposons alors (d’établir) une échelle de complexité, qui est liée, d’une part, à l’opacité imposée au destinataire du texte et, d’autre part, à la typologie à laquelle le texte appartient. La portée des choix rédactionnels a été mise en évidence à partir d’un corpus de textes de vulgarisation (formulaires de consentement éclairé et notices pharmaceutiques).
Mots-clefs : Langue de spécialité, langage médical, complexité, condensation syntaxique, hypercomplexité, nominalisation, éponyme, emprunt, consentement éclairé, notice de médicament.
Claire Martinot
La complexité d’un phénomène linguistique est-elle toujours source de difficulté? Cas de l’acquisition des relatives en langue première (français et allemand) (p. 123-169)
Résumé : Le système des relatives est considéré comme un système complexe. L’une des implications de cette affirmation devrait être que son acquisition réserve des difficultés aux enfants. À partir d’un protocole expérimental identique réalisé auprès d’enfants français de 4 à 10 ans et allemands de 6 à 10 ans qui consiste à demander à ces enfants de restituer l’histoire qui vient de leur être lue, individuellement, l’étude montre que sur les 6 relatives du texte source, seules 2 relatives explicatives, au poids diégétique important, ont été reformulées relativement souvent par une relative, et encore, seulement par les enfants français. L’occurrence d’un pronom relatif est cependant un critère insuffisant pour évaluer l’acquisition en cours du système des relatives. En revanche, la reformulation paraphrastique des phénomènes complexes attestés dans les relatives sources (vs effacement, changement de sens et répétition), fournit un critère fiable du degré d’acquisition des relatives.
Mots-clefs : Complexité, difficulté, relatives déterminatives, relatives explicatives, acquisitions tardives, comparaison interlangue, procédures de reformulation, équivalences sémantiques, restructuration.
Clara Romero
Comment le sens peut-il être complexe? L’exemple des comparaisons d’intensité (p. 171-198)
Résumé : À partir de phénomènes sémantiques qui semblent complexes (au sens courant), et de ce que l’on appelle complexité là où, en linguistique, cette notion est mieux établie, une définition générale de la complexité sémantique est proposée. La complexité de certains faits est susceptible d’expliquer les différences entre les idiolectes, laissant prévoir un rapport avec la notion de difficulté. Un phénomène correspondant à un certain type de complexité sémantique – les comparaisons d’intensité – est ensuite analysé. Les paramètres qui allongent le calcul du sens de ces comparaisons et qui permettent de les hiérarchiser en fonction de leur complexité sont mis au jour.
Mots-clefs : Calcul sémantique, comparaison, complexité, degré, difficulté, figure, hyperbole, intensité, métaphore, trope.
Brahime Larouz
Un verre à moitié plein ou un verre à moitié vide (p. 199-218)
Résumé : Énoncer une phrase, c’est faire référence à un état de choses dont on parle; mais cet état de choses n’est pas, en général, complètement symbolisé par la phrase : pour déterminer ce dont on parle, il faut prendre en considération non seulement la phrase qu’on énonce, mais aussi le contexte d’énonciation; et certains éléments dans la phrase ont justement pour effet d’indiquer quel aspect de la situation d’énonciation doit être considéré pour savoir ce dont on parle.
Mots-clefs : Phrase, référence, énonciation, contexte.
Nizha Chatar-Moumni
Cycle de la négation en arabe marocain (p. 219-238)
Résumé En arabe marocain, la négation grammaticale est réalisée soit par le seul élément ma- soit par l’association de ma- à l’élément –š ou sa variante –ši. L’analyse des relations qu’entretiennent ces deux éléments nécessite de prendre conjointement en compte différents niveaux d’analyse : la morphologie, la syntaxe, la sémantique, la lexicologie, la pragmatique, mais aussi la logique. L’auteur explore les racines historiques de la négation en arabe afin de saisir les facteurs conditionnant l’usage en synchronie de la négation en arabe marocain défend l’hypothèse que l’unité ma- doit nécessairement être associée à un quantifieur véhiculant un trait de sens [+ non-défini]. L’association avec -š est liée à la présence ou l’absence de ce trait de sens, mais aussi à la force pragmatique de la négation.
Mots-clefs : Arabe marocain, négation, grammaticalisation, prédicat verbal, complexité, trait quantifieur indéfini, pragmatique, portée, foyer, focalisation.
Dahn Thành Do-Hurinville
Complexité dans une langue isolante : exemple du vietnamien (p. 239-267)
Résumé : Toutes les langues sont aussi complexes les unes que les autres, mais le degré de complexité peut ne pas être similaire dans un domaine donné. Le présent article vise à examiner l’hypothèse compensatoire (selon laquelle les langues isolantes sont moins complexes que les langues flexionnelles du point de vue morphologique, mais peuvent être, par compensation, plus complexes du point de vue syntaxique et sémantique) en passant au crible la grammaire du vietnamien, langue isolante, dont la complexité est examinée à trois niveaux : morpho-phonologique, syntactico-sémantique et discursif.
Mots-clefs : Complexité, langue isolante, vietnamien, ton, réduplication, nom massif, classificateur, construction verbale en série, relativiseur.
Louis-Jean Calvet
Lacan et l’écriture chinoise: un inconscient structuré comme une écriture? (p. 269-286)
Résumé : À la veille d’un voyage en Chine qu’il devait entreprendre en 1974, et qu’il ne fera pas, Jacques Lacan aurait, selon plusieurs témoignages, dit qu’il voulait étudier l’inconscient chinois qui serait structuré comme une écriture. À partir de cette formule on présentera d’abord les rapports entretenus par le psychanalyste avec le signe saussurien, les énantiosèmes et les anagrammes. D’autre part, Lacan avait étudié le chinois et il avait en outre travaillé au début des années 1970 avec François Cheng sur des textes classiques (Laozi, Mencius, Shitao). Il était donc parfaitement placé pour s’interroger sur la linéarité de la langue et sur les rapports entre graphie et phonie, différents dans les systèmes alphabétiques et dans le système chinois. Sa connaissance de la langue semble l’avoir mené à postuler que si la matière centrale de la psychanalyse était le signifiant phonique, le problème se posait peut-être différemment pour le chinois, d’où l’hypothèse que, pour Lacan, les Chinois rêvaient peut-être en caractères.
Mots-clefs : Lacan, Saussure, linguistique, psychanalyse, signe, énantiosème, système graphique, inconscient, étymologie graphique des caractères chinois, profondeur des caractères chinois.
Articles hors thème
Claude Vautier
La faille et la brèche : réflexions sur un dépassement possible des controverses contemporaines en sociologie (p. 289-317)
Résumé : La sociologie n’en finit pas de confronter des positions selon lesquelles ce serait l’individu qui serait la source du tout social ou, au contraire, ce serait le système qui construirait les individus. Ces confrontations se poursuivent dans un débat autour de la synchronie ou de la diachronie des études. La sociologie des réseaux a marqué une avancée vers une réconciliation entre ces positions. Mais, pourrait-on dire, c’est une réconciliation a minima. Tout comme la théorie des systèmes complexes selon la mouvance du RNSC (Réseau national des systèmes complexes), si elle fait coexister une analyse structurale et une analyse individualiste, les catégories analytiques d’individu et de système restent nettement séparées et l’historicité du social n’est pas vraiment prise en compte. Ce texte explore les possibilités de modélisation de l’inséparabilité des catégories individu, système et événement. Il tente de montrer que la tradition sociologique, jusqu’à nos jours, a manipulé ces catégories, les a appariées de diverses manières et que chaque courant théorique est analysable à travers une grille représentant le mode d’appariement de ces trois catégories. Il essaie de mettre en lumière le fait que ces combinaisons sont à la source de polémiques récurrentes et qui finissent par devenir largement stériles. Il le fait en développant l’idée qu’une approche relationnelle en sciences sociales peut être une voie de sortie de ces disputes en liant de façon intime les trois catégories précédentes. En leur accordant, dans la modélisation un niveau causal et résultant, soit de façon alternative, soit de façon simultanée, il permet leur circulation, comme dans un ruban de Möbius. Cette modélisation qui prend la forme d’un modèle trialectique noue, dans un périmètre élargi, ces grandes catégories de la sociologie sans donner prééminence à l’une sur les autres.
Mots-clefs : Événement, individu, système, hologrammie, hiérarchies enchevêtrées, relation, relation entre, champ relationnel, modèle trialectique, courants de pensée sociologique.
Louis Giguère
Les services de santé en français pour les communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire du Canada : bonification du schéma du CCCFSM (2001) (p. 319-346)
Résumé : Nous bonifions le schéma du CCCFSM (2001) sur le développement des services de santé en français pour les communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire (CFASM) du Canada à l’aide de données probantes recueillies lors du recensement national de 2006. Notre approche consiste à choisir, à partir d’une procédure statistique, une mesure de masse critique de francophones qui met en évidence un schème cohérent d’offre et de demande de services de santé sur une base géographique juridictionnelle. L’offre et la demande sont plus grandes là où la vitalité linguistique des CFASM est plus grande. Dans l’ensemble, l’offre tombe en deçà de la demande; ceci suggère une demande latente de services en français et est consistant avec les études d’offre active des services en français dans les CFASM. Nos résultats sont aussi consistants avec les trois phases évolutives de sensibilisation, de structuration et de consolidation proposées par le CCCFSM (2001). Nous discutons des limitations méthodologiques et en tirons des leçons pour les réseaux de santé francophones des CFASM.
Mots-clefs : CFASM, CLOSM, communauté francophone, minoritaire, vitalité linguistique, langues officielles, réseaux de santé, services en français, offre et demande.