Volume 7, numéro 2, 2012

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Claude Vautier

Avant-propos (p. 13–22)

Yvon Gauthier

L’appareil analytique et ses modèles (p. 23–48)

Résumé :

Cet article propose une notion constructiviste de modèle dans la théorie physique applicable à la théorie scientifique en général, c’est-à-dire aussi bien dans les sciences exactes que dans les sciences sociales et humaines. La distinction entre appareil analytique et appareil expérimental par la médiation des modèles permet en effet de généraliser une notion qui est d’abord apparue dans les fondements de la physique chez David Hilbert et John von Neumann. Si l’on consent à inverser les flèches ou homomorphismes qui vont de l’appareil analytique, ensemble des structures logicomathématiques, à l’appareil expérimental, ensemble des données empiriques et des procédures expérimentales, on peut remonter par la modélisation des données jusqu’à l’appareil analytique qui assure la consistance ou cohérence logique de la théorie scientifique, qu’elle relève des sciences exactes ou des sciences sociales.

Une telle articulation des savoirs peut apparaître formelle, mais elle a l’avantage de rassembler les entreprises scientifiques dans un schème unificateur qui jette une lumière nouvelle sur le débat majeur en philosophie des sciences contemporaine, la confrontation du réalisme et de l’antiréalisme, qui a des répercussions tant en philosophie de la physique qu’en philosophie du langage et en philosophie de la logique, ou encore en philosophie des sciences sociales, si l’on en croit Jürgen Habermas ou les tenants du contructionnisme appelé jadis constructivisme social ou socioconstructivisme.

L’article conclut sur la distinction qu’il faut opérer entre le constructivisme logicomathématique et le contructionnisme, comme le dénomme Ian Hacking, pour bien marquer la distance qui sépare les postures fondationnelles ou les options philosophiques dans ce qu’il faut bien appeler « logique de la science », selon l’expression du grand philosophe pragmatiste Charles Sanders Peirce reprise par des empiristes logiques comme Rudolf Carnap.

Mots-clés : modèle, appareil analytique, appareil expérimental, sciences exactes, sciences sociales.

Jean Leroux

La notion de modèle en philosophie des sciences (p. 49–65)

Résumé :

Nous voulons faire valoir le caractère central de la notion de modèle en philosophie des sciences. Nous aborderons d’abord la question du rapport qu’entretiennent les notions de modèle et de théorie, pour ensuite distinguer, dans l’utilisation qu’en a fait la philosophie des sciences, l’acception du terme en tant que conception générale de celle qui prévaut maintenant dans les approches contemporaines. Nous présentons de façon critique et informelle les différentes voies que l’analyse épistémologique a adoptées afin de caractériser les modèles associés aux théories scientifiques, et nous en discutons les enjeux. Enfin, et à titre d’exemple, nous exposons comment le débat sur la question du réalisme scientifique s’articule sur la notion de modèle.

Mots-clés : modèle, théorie, conception sémantique des théories scientifiques, réalisme scientifique.

Albin Wagener

Le système interactionnel : connexions sémantiques et contextique relationnelle (p. 67–104)

Résumé :

Si la systémique permet de mettre en exergue la complexité des interactions humaines (Meunier 2003), elle a aussi pour but d’en préciser les modalités de régulations et les éléments permettant à ces interactions d’émerger et de se maintenir (Varela et al. 1993). En reliant cette systémique interactionnelle à des principes hérités du connexionnisme (Bechtel et Abrahamsen 1993, Marcus 2001), nous affirmons qu’il devient alors possible de mettre l’accent sur l’importance du contexte dans les interactions et sur la manière dont les individus réagissent en fonction de noeuds sémantiques, dans la mesure où ces noeuds se retrouvent notamment activés lors de processus d’identification nécessaires pour l’individu ou le groupe (Burke et Stets 2009). Le présent travail théorique explore ces possibilités, en lien avec la prise en compte de la complexité des relations humaines (Lerbet-Séréni 1994, Wagener 2010).

Mots-clés : systémique, contexte, relations, connexions, sémantique, modélisation, complexité, interactions, communication, fluctuation.

Gérard Sensevy

Le jeu comme modèle de l’activité humaine et comme modèle en théorie de l’action conjointe en didactique. Quelques remarques (p. 105–132)

Résumé :

Dans cet essai, j’envisage la notion de jeu en tant qu’elle peut fournir une structure pour modéliser l’activité humaine en général, et l’activité didactique en particulier. Je tente de montrer certains aspects de sa pertinence scientifique, telle qu’elle est utilisée au sein de la théorie de l’action conjointe en didactique. Pour cela, je présente la notion de jeu en tant qu’outil de description de la pratique, c’est-à-dire en tant qu’élément de constitution d’une théorie de la pratique. Dans cette perspective, le modèle du jeu a pour fonction de mieux comprendre et expliquer l’action humaine. Après avoir présenté certains éléments d’arrière-plan sur la base desquels la notion de jeu me paraît pouvoir être employée de manière fructueuse, je m’efforce de dissiper certaines ambiguïtés attachées à l’usage de la notion, et à clarifier ce que peut signifier l’expression « utiliser le modèle du jeu ». Je tente ensuite de donner à voir certains intérêts génériques de l’usage du modèle du jeu, avant de préciser rapidement certains aspects de cet usage par comparaison à ceux de tâche et d’activité. La conclusion se concentre sur la production de critères d’usage du modèle du jeu.

Mots-clés : jeu, modèle, didactique, action conjointe, théorie de la pratique.

Nicolas Darbon

L’idéologie en musicologie. L’Essai sur la complexité de Célestin Deliège (p. 133–171)

Résumé :

Cet article analyse la production de certaines idées en musicologie, concentrant la focale sur l’Essai sur la complexité de Célestin Deliège. Il croise les approches de l’idéologie d’Edgar Morin et de Raymond Boudon. Est présenté le courant musical de la fin du XXe siècle, la New Complexity et son représentant le plus connu, Brian Ferneyhough. Pour comprendre les ressorts de la pensée de Deliège d’autres écrits permettent de cerner les « bonnes raisons » qui l’ont conduit à définir la Modernité (à travers ce que l’auteur appelle son dodécalogue), cet idéo-mythe contemporain. Le système philosophique sous-jacent est celui de Theodor W. Adorno. Il est intéressant d’observer le cheminement d’une idée originelle vers son interprétation, à travers la notion de « tour de force » (tirée de la Ästhetische Theorie), que Deliège perçoit dans le hiatus entre virtuosité et résultat esthétique. Ou encore dans le voyage de la notion de critique entre sociologie et politique. L’article étudie les « effets » de position ou de communication en direction d’une « musicologie critique ». Deliège incarne le paradoxe du musicologue, entre science et doctrine, entre rationnalisation et lucidité. Il réalise la justesse de la critique selon Baudelaire, partiale, passionnée et politique.

Mots-clés : Célestin Deliège, Boudon, Morin, Ricoeur, Adorno, Ferneyhough, sociologie, épistémologie, historiographie, musicologie, critique, idéologie, idée reçue, topique, doxa, système, paradigme, science, théorie, complexité, musique contemporaine, sérielle, tour de force, modernité, postmodernité.

Nicolas Lamic

Chantiers de rénovation urbaine : nouveaux terrains pour la recherche en sciences sociales (p. 173–205)

Résumé :

Le matériau utilisé pour la rédaction de cet article est issu de l’une des interventions psychosociologiques que nous avons réalisées dans le cadre de projets de rénovation urbaine en Martinique au cours des années 2006-2008. La problématique que nous soulevons est celle du risque de dérive technocratique qui menace l’action publique dès lors qu’elle ne se donne pas les moyens d’associer les individus et les groupes dans la détermination des objectifs qu’elle poursuit. C’est ainsi que nous montrons comment l’analyse des présupposés qui organisent l’action publique dans ces sociétés postcoloniales permet d’illustrer la violence exercée contre certaines catégories de la population martiniquaise.

Mots-clés : sociétés postcoloniales, inégalités sociales, processus de dépolitisation, changement social, intervention en milieu urbain.

Léna Diamé Ndiaye et Myreille St-Onge

L’écosystémique relationnel : un paradigme à reconstruire dans le champ de la santé mentale de l’enfant. Des passeurs de sens et des passeurs de champs (p. 207–240)

Résumé :

Cet article, tout en s’insérant dans l’éternel débat épistémologique dans le courant systémique entre les tenants du fonctionnalisme et ceux de la phénoménologie, n’a pas la prétention de développer les biais idéologiques des deux courants. Cet article veut, au-delà des contextes, présenter la perspective écosystémique en tant que lunette d’observation des relations entre des acteurs engagés dans le champ de la santé mentale de l’enfant. Dans une première partie nous allons présenter quelques considérations générales sur la perspective écosystémique à travers sa saisie comme l’entre-deux d’une épistémologie évoluant d’un déterminisme béhavioriste à un relativisme constructiviste. La deuxième partie de l’article pose la pertinence de l’utilisation de la perspective écosystémique dans l’étude de relations entre des acteurs engagés dans l’offre de service de santé mentale pour enfants. Dans une troisième partie, nous tenterons de circonscrire la notion de relation dans une perspective écosystémique. La quatrième partie proposera une relecture des lieux de rencontre avec l’écosystémique comme enjeu institutionnel et non institutionnel dans le champ de la santé mentale de l’enfant. Enfin, la cinquième et dernière partie nous donnera l’occasion de poser un décloisonnement majeur en illustrant le processus rationnel du relationnel écosystémique dans le champ de la santé mentale de l’enfant.

Mots-clés : perspective écosystémique, relation, réseau, enfant, santé mentale.

Marcienne Martin

Délitement sociétal et appartenances (p. 241–260)

Résumé :

Évoquer le délitement sociétal renvoie à la notion de structures organisationnelles, lesquelles s’inscrivent dans les appartenances au sein desquelles se construit l’identité du sujet. Force est de constater que la première inscription dans la société humaine prend sa source dans l’anthroponymie. À ce système d’appartenances, s’ajoutent ceux liés à la nationalité et à la langue ou aux langues, pour ne citer que ces derniers. Si les appartenances fédèrent le groupe, qu’en est-il quand plusieurs groupes appartiennent à un territoire commun (réel ou symbolique), mais construisent leur identité dans le cadre de valeurs antinomiques ? Peut-on alors parler d’un projet sociétal commun ? Dans ce présent article, il sera mis en perspective structures organisationnelles et construction identitaire du groupe et de l’individu et, à partir d’exemples, il sera interrogé comment l’adhésion à un système d’appartenances données peut faire évoluer une structure sociale soit vers la néguentropie ou, encore, soit vers l’entropie.

Mots-clés : délitement, organisation, appartenance, identité, individu, groupe, territoire, valeurs, entropie, néguentropie.

Alain Desrosières

Est-il bon, est-il méchant? Le rôle du nombre dans le gouvernement de la cité néolibérale (p. 261–295)

Résumé :

Comment résoudre la contradiction entre l’ethos du statisticien et la prise en compte des rétroactions, même quand celles-ci lui apparaissent seulement comme de fâcheux obstacles à sa mission, qu’il pense être de « fournir des reflets non biaisés de la réalité » ? Il n’est pas possible d’isoler un moment de la mesure, qui serait indépendant de ses usages, et notamment des conventions qui sont la première étape de la quantification. Il faudrait désenclaver la formation des statisticiens, en la complétant par des éléments d’histoire, de sciences politiques, et de sociologie de la statistique, de l’économétrie, des probabilités, de la comptabilité et de la gestion. Ce programme, inspiré des acquis des sciences studies (Pestre, 2006), pourrait faciliter la prise en compte des outils quantitatifs dans les débats sociaux, sans verser ni dans le rejet a priori, ni dans le respect inconditionnel et naïf devant des « faits incontestables parce que quantifiés ».

Mots-clés : statistique, comptabilité, néolibéralisme, indicateurs, nouveau management public.

Osée Kamga

Mediatization. Concepts, Changes, Consequences, Knut Lundby (dir.), New York, Peter Lang Publishing, 2009, 317 p. (p. 297–306)