Volume 19, numéro 1, 2023

Sur le thème : « la montée des populismes au XXe siècle : quelles pistes méthodologiques et thématiques ? »

Sous la direction de Jocelyne Praud

Jocelyne Praud

Avant-propos : La montée des populismes au XXIe siècle : quelles pistes méthodologiques et thématiques ? (p. 15-24)

Frédirick Guillaume Dufour et Olivier Bérubé-Sasseville

« Trajectoires comparées et potentiel heuristique de l’idéal-type de national-populisme » (p. 27-57)

Résumé : Il est difficile pour les chercheurs spécialistes du populisme d’établir une définition non équivoque du national-populisme. Dès les années 1960, Ernest Gellner et Ghita Ionescu (1969) exposaient différents usages du concept, alors qu’Isaiah Berlin soulignait la tension entre le concept et la myriade de cas qu’il peut désigner. Dans cet article, nous mettons en relation les développements de la sociologie du nationalisme, de la littérature récente sur le populisme de droite et la littérature portant plus spécifiquement sur la droite radicale en France. Nous nous attardons sur deux trajectoires distinctes à travers lesquelles l’idéaltype de national-populisme s’est développé afin de rendre compte de la relation entre le nationalisme et le populisme. Nous montrons comment le sociologue Rogers Brubaker (2020) en est venu à défendre l’importance de cet idéaltype pour ensuite mettre ces développements théoriques en relation avec l’évolution du concept de national-populisme en France en exposant ses particularités.

Mots-clefs : Populisme, national-populisme, droite radicale, extrême droite, fascisme, néofascisme, Roger Brubaker, idéal-type.

Albert Ogien

« Populisme de gauche et démocratie » (p. 59-73)

Résumé : Dans l’usage un peu indifférencié qui en est fait dans l’espace public démocratique contemporain, le terme « populisme » renvoie prosaïquement à une stratégie de conquête du pouvoir par la voie des urnes. Quand cette stratégie est dite de droite, elle est déployée par les forces réactionnaires (extrême-droite xénophobe, suprémaciste ou fasciste). Quand elle est dite de gauche, elle est celle de mouvements progressistes ou révolutionnaires qui visent à réaliser l’aspiration des classes populaires à se défaire des formes d’oppression qu’elles subissent. En fait, l’étiquette « populisme de gauche » s’applique à ces formations politiques qui se positionnent à la gauche de la social-démocratie qu’elles accusent d’avoir renoncer à leur vocation. Cet article s’attache donc à décrire le projet que ces formations poursuivent, en cherchant à répondre à deux questions : 1) le style rhétorique du populisme est-il compatible avec les principes d’autonomie et de rationalité propres à la tradition de gauche ? 2) qu’est-ce qui distingue les pratiques du populisme de gauche des formes de démocratie directe mises en œuvre par l’activisme politique des citoyens ordinaires ?

Mots-clefs : Activisme politique, critique de la social-démocratie, démocratie directe, Mouffe, populisme de gauche.

Simon Laflamme

« Populisme et non-populisme : étude comparée de programmes politiques » (p. 75-130)

Résumé : Bon nombre de travaux ont mis en lumière des caractéristiques du discours populiste. On peut alors se demander dans quelle mesure le discours populiste se distingue du discours non populiste. Pour répondre à cette question, nous avons soumis à la textométrie les programmes de dix acteurs politiques considérés comme populistes et de dix autres considérés comme non populistes, confrontant chaque fois deux adversaires dans un même pays. L’analyse révèle que populistes et non-populistes ont beaucoup en commun, contraints qu’ils sont d’ajuster leurs propos à la problématique politique d’un pays et aux exigences générales de la dynamique entre un prétendant au gouvernement et l’électorat. L’analyse constate par ailleurs certaines dissimilitudes, comme le fait que les plateformes populistes insistent proportionnellement plus que les non populistes sur les questions économiques et que les plateformes non populistes soient davantage que les autres animées par des principes de social-démocratie.

Mots-clefs : Populisme, non-populisme, textométrie, lexicométrie, programmes politiques, manifestes politiques, plateformes politiques, analyse comparée.

Gilles Ivaldi

« Les colères et le drapeau : quels ont été les effets de la pandémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine sur les votes pour les candidats populistes à l’élection présidentielle de 2022 en France ? » (p. 131-199)

Résumé : Si le populisme est souvent associé à la notion de crise, la relation entre ces deux concepts demeure relativement floue. À partir des données de l’Enquête électorale française de 2022, cet article propose d’examiner l’effet de la « polycrise » produite par la superposition de la pandémie de COVID-19, de la guerre en Ukraine et de leurs conséquences socio-économiques sur les votes populistes individuels à l’élection présidentielle. Les résultats confirment que ces crises ont eu des effets hétérogènes pour chacun des principaux candidats populistes, et que la direction de ces effets a varié également en fonction du jugement porté sur les performances de l’exécutif. Ces résultats illustrent la complexité des liens entre populisme et crise. Ils mettent en évidence certains des mécanismes au travers desquels les électrices et électeurs se saisissent des crises et leur confèrent une importance et une signification particulières qui orientent leurs choix électoraux.

Mots-clefs : Populisme, crise, vote, élection présidentielle 2022, France.

Morgane Beaumier

« Le populisme à gauche et à droite : les cas de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon » (p. 201-236)

Résumé : Cet article étudie comment les discours populistes varient en fonction de l’orientation politique. Plus précisément, il explore d’une manière comparative le discours de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ce sont 38 discours non institutionnels et 53 discours institutionnels qui sont étudiés grâce au cadre théorique de Raoul Girardet. Ce dernier met de l’avant la présence de quatre mythes populistes dans les discours des politiciens français : conspiration, âge d’or, sauveur et unité. Une deuxième comparaison entre les deux types de discours est effectuée. Il semble que Le Pen et Mélenchon ne fassent pas une utilisation similaire des quatre mythes dans leurs discours. Alors que le mythe de la conspiration est utilisé de manière semblable par les deux politiciens, ceux de l’âge d’or et de l’unité ne le sont qu’en partie. Le dernier mythe, celui du sauveur, n’est pas utilisé de façon comparable selon les politiciens. De plus, les discours de Mélenchon restent relativement stables en fonction du lieu, alors que ceux de Le Pen varient beaucoup plus.

Mots-clefs : Populisme, institutionnalisation, discours, mythes, communication politique.

Thomás Zicman de Barros

« Les différents populismes des Gilets jaunes : une approche psychosociale » (p. 239-277)

Résumé : Le mouvement des Gilets jaunes a souvent été décrit comme « populiste ». À partir d’une analyse psychosociale, cet article évalue la pertinence du terme et discute de ce que l’expérience des Gilets jaunes apporte aux études sur le populisme. La première partie de l’article présente le mouvement des Gilets jaunes et discute de la justesse d’utiliser le terme de populisme pour le caractériser, en considérant notamment comment diverses approches théoriques évaluent différemment la relation entre populisme et démocratie. Tout d’abord il est affirmé que le mouvement peut être qualifié de populiste parce qu’il est capable d’inclure des secteurs subalternisés dans la politique de manière esthétiquement transgressive. Cependant, en soi, cette étiquette n’indique rien sur le caractère démocratique des manifestations. La deuxième partie de l’article présente une série d’entretiens approfondis avec vingt manifestants afin d’évaluer le caractère démocratique du mouvement. L’article conclut que les Gilets jaunes démontrent que des positions éthiques anti-démocratiques et des positions éthiques radicalement démocratiques peuvent coexister dans le même mouvement populiste.

Mots-clefs : Gilets jaunes, populisme, démocratie radicale, études psychosociales, identités collectives.

Frédéric Boily

« Surenchère populiste : la course à la direction des conservateurs unis en Alberta (2022) » (p. 279-317)

Résumé : Ce texte constitue une analyse de la course à la direction du Parti conservateur uni de l’Alberta qui est survenue à l’été 2022 et qui a mené à la victoire de Danielle Smith. Il repose sur une conception du populisme compris en tant que style (protestataire et identitaire) ainsi que sur l’idée que les courses à la direction peuvent constituer des moments favorables à l’expression du populisme. Il s’agit de montrer qu’il s’est produit, en raison d’un contexte propice à la dénonciation des élites politiques, une surenchère populiste entre les trois principaux candidats (Danielle Smith, Brian Jean et Travis Toews) qui ont rivalisé de propositions populistes et autonomistes pour se distinguer les uns des autres. L’article avance que le populisme, surtout protestataire, s’est exprimé de différentes manières tant avec la dénonciation des gouvernements de Justin Trudeau et de Jason Kenney que du Forum économique mondial qui agirait dans l’ombre contre les intérêts économiques de l’Alberta ainsi que de celle du Québec qui profiterait indûment de la richesse albertaine.

Mots-clefs : Populisme, Alberta, Danielle Smith, Jason Kenney, autonomisme, Forum économique mondial.

Jean-Daniel Collomb

« Le populisme énergétique droitier aux États-Unis : quelles perspectives pour l’action climatique dans la démocratie états-unienne ? » (p. 319-355)

Résumé : Cet article propose une réflexion au sujet des effets du populisme énergétique droitier sur la démocratie étatsunienne contemporaine. La vigueur du populisme énergétique droitier menace durablement la capacité de la démocratie états-unienne à adopter une stratégie de décarbonation cohérente sur le long terme, et ce, de quatre façons : 1) en remettant en question la continuité des politiques publiques de décarbonation ; 2) en influençant les politiques de décarbonation mises en place par les Démocrates, désireux de ne pas être accusés de remettre en question le mode de vie américain ; 3) en contredisant la rhétorique démocrate du leadership climatique étatsunien sur la scène internationale ; et 4) en réduisant les chances que les États-Unis répondent véritablement aux demandes d’aides financières à l’atténuation et à l’adaptation de nombreux pays en développement.

Mots-clefs : Action climatique, changement climatique, climato-scepticisme, nationalisme, populisme.

Xavier Mellet

« La montée des populismes au XXIe siècle : ambiguïtés et spécificités de la situation japonaise » (p. 357-397)

Résumé : En dépit de l’absence d’alternance au pouvoir depuis 2012 et du faible poids des forces contestataires, le Japon n’échappe pas à la montée des populismes. Une littérature de plus en plus fournie, en langues anglaise et japonaise, en décrit les caractéristiques et s’attache à en identifier les principales incarnations. Nourri par des tendances structurelles telles qu’une personnalisation de la pratique politique et une hausse de la défiance des citoyens, le populisme japonais ne se cristallise pourtant pas de manière indubitable en un parti populiste d’ampleur doté d’une idéologie spécifique. Cette ambiguïté du rapport entre théorie et casuistique fait du Japon un cas pertinent pour l’étude des multiples facettes des populismes et de leurs rapports aux transformations de la compétition démocratique. Cette contribution étudie la relation entre les caractéristiques des populismes japonais et les propriétés de l’environnement politique dans lequel elles se déploient, de manière à dépasser une conception binaire distinguant les populistes des non-populistes, alors que la situation japonaise propose de nombreux cas hybrides.

Mots-clefs : Populisme, Japon, Koizumi, Abe, marketing politique, défiance politique.

Hors thème

Monique Dalud-Vincent

« La recherche de positions équivalentes dans un réseau : définitions, essais et limites » (p. 401-460)

Résumé : Dans cet article nous présentons les différentes définitions formelles (et leurs opérationnalisations via l’outil Pajek) de positions équivalentes dans un réseau en les déconstruisant pour en dégager les hypothèses sociologiques sous-jacentes. Au travers d’exemples pédagogiques, nous montrons leurs limites et les difficultés que rencontre l’utilisateur lorsqu’il s’agit de choisir une méthode particulière d’analyse. Avec l’outil RéSo qui met l’accent sur le lien entre trajectoires individuelles et positions, nous montrons l’intérêt de conserver une approche discrète pour dégager des positions plus ou moins centrales ou périphériques, en particulier sur la base d’une application dans le cadre d’un milieu associatif.

Mots-clefs : Position équivalente, réseau, équivalence structurale, équivalence régulière.

Comptes-rendus de lecture

Jenny Blondeau et Emmanuel Guay

Joie militante. Construire des luttes en prise avec leurs mondes, carla bergman et Nick Montgomery, traduit de l’anglais par Juliette Rousseau, Rennes, Éditions du commun, 2021, 272 p. (p. 463-468)

Alessandro Giuseppe Drago et Khandys Agnant

La rébellion est-elle passée à droite ? Dans le laboratoire mondial des contre-cultures néoractionnaires, Pablo Stefanoni, traduit de l’espagnol par Marc Saint-Upéry, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2022, 320 p. (p. 469-473)

Nazaire Joinville

(Dé)chiffrer les locuteurs. La quantification des langues à l’épreuve des idéologies langagières, Philippe Humbert, Neuchâtel (Suisse), Alphil et Presses universitaires Suisses, coll. « Sociétés », 2022, 388 p. (p. 475-479)