Sur le thème : « Renouveler les méthodes d’entretien pour libérer la parole de l’enquêté – II »
Sous la direction d’Amélie Robert et Félix Lefebvre
Amélie Robert et Félix Lefebvre
Avant-propos (p. 15-29)
Jan Kašník
« La triangulation méthodologique pour libérer la parole des personnes désignées comme “handicapées mentales” et de leur entourage familial et professionnel en France et au Mexique » (p. 41-69)
Résumé : L’objectif de l’article est de réfléchir à l’élaboration d’une stratégie incluant diverses démarches d’investigation pour libérer la parole des personnes désignées comme « handicapées mentales », mais aussi de leur entourage familial et professionnel sur un terrain associatif multi-situé entre la France et le Mexique. Pour ce faire, les fondements et la pertinence des quatre techniques méthodologiques employées, certaines plus classiques, comme les entretiens de recherche et les observations participantes, et d’autres plus innovantes, à l’instar des focus groups et d’un cours d’éducation sexuelle sont interrogés. Les apports de chaque technique en lien avec l’objet de recherche sont exposés, en soulignant leur complémentarité mais également certaines limitations. Le fil conducteur autour duquel s’articule cette réflexion réside dans le caractère dynamique et changeant de la stratégie méthodologique dans une recherche qualitative, qui dépend du positionnement du chercheur et de ses (im)possibilités d’accès à certains terrains. Ainsi, le champ du handicap constitue un objet d’étude propice à revisiter les différentes techniques méthodologiques.
Mots-clefs : Handicap mental, entretien semi-directif, focus group, observation participante, éducation sexuelle.
Valentin Aubois-Liogier
« La recherche-projet fait parler : méthodologie d’enquête avec les acteurs du projet Urocyclus pour le recyclage de l’urine » (p. 71-109)
Résumé : La problématique méthodologique de faire parler les acteurs d’un projet rencontre celle de l’emploi de la méthode de recherche-projet. Cette méthode fait usage des moyens du design pour produire un projet qui articule des enjeux de recherche. Le projet de recherche Urocyclus pour le recyclage agricole de l’urine humaine la mobilise pour enquêter auprès de ses acteurs. Ainsi, l’article démontre, à partir de cette recherche-projet, que différentes catégories d’acteurs sont motivées à parler par le projet et analyse sous quelles modalités. En effet, une situation nouvelle est créée in situ par le projet de design et permet de motiver la parole des enquêtés. Le cadre conceptuel d’Urocyclus est présenté pour expliciter les enjeux socio-écologiques structurant le projet et la position adoptée vis-à-vis de la notion d’acceptabilité sociale. La recherche-projet est posée comme hypothèse méthodologique pour la recherche et analysée au prisme de la parole des acteurs. Le montage méthodologique d’Urocyclus est étudié pour mettre à jour les liens et interactions existant entre les acteurs et les éléments conçus et produits par le design. Ces relations permettent de collecter des paroles aux qualités temporelles différentes. Finalement, les atouts, faiblesses et limites rencontrés en situation lors de l’expérimentation de cette méthode sont questionnés. Le caractère situé de la recherche-projet est ainsi argumenté comme une force, mais l’ancrage sur le terrain par le projet et la participation active qu’il implique fragilisent la méthode. De plus, un enjeu pédagogique se pose pour la diffusion de cette méthode. Par ailleurs, la recherche-projet reste jeune et cet article vient renforcer les connaissances empiriques à son sujet en proposant des orientations pour la recherche en design.
Mots-clefs : Recherche-projet, méthodologie, enquête de terrain, recyclage de l’urine, design, épistémologie.
Delphine Vanrechem
« Une méthode créative de collecte des données dans l’entretien clinique de recherche : bricolage éphémère et dialogue autour d’une œuvre d’art » (p. 111-160)
Résumé : Cet article présente une recherche doctorale en cours sur les phénomènes de déréalisation dans les domaines de la psychologie et de la littérature comparée. L’autrice y expose les choix qui ont présidé à la détermination de son objet d’étude et les raisons qui l’ont conduite à adopter la méthode des entretiens cliniques de recherche. Trois types d’entretiens ont eu lieu : le premier axé sur la parole, le deuxième sur un bricolage avec des éléments mobiles et le troisième sur un dialogue autour d’une œuvre d’art dont l’atmosphère déréalisante faisait écho à la problématique de recherche. L’article explore le passage progressif d’une méthode classique vers l’utilisation de dispositifs créatifs, visant à libérer la parole des participants et à favoriser l’expression de leurs affects. La mobilité des éléments symbolise la fluidité des processus affectifs, tandis que l’immersion dans l’imaginaire d’une œuvre d’art stimule la réflexivité. La créativité est encouragée sur le mode du jeu plutôt que la création proprement dite et les résistances, tant du chercheur que des participants, tendent à s’estomper. L’autrice met en lumière les apports de ces dispositifs, tout en soulignant leurs limites, dans un souci de préserver la singularité de chaque témoignage et la richesse émotionnelle propre à chaque expérience.
Mots-clefs : Méthodes d’entretien, entretiens cliniques de recherche, collecte des données, déréalisation, bricolage éphémère, médiations, créativité.
Amélie Soubie, Laurent Couderchet et Manon Alban
« Ce que l’illustrateur apporte au chercheur en situation d’entretien » (p. 161-200)
Résumé : Cet article relate une expérimentation méthodologique préalable au terrain d’une thèse de géographie. L’équipe de recherche interdisciplinaire, composée de deux géographes et d’une illustratrice, conçoit et teste plusieurs façons de mobiliser la bande dessinée au cours d’entretiens liés aux parcours de vie. Elle établit des conditions où l’outil dessin apporte une plus-value avérée, en explorant le concept de la « gouttière », espace entre les cases de la bande dessinée chargé d’implicites que le chercheur doit interroger. Un retour réflexif est également réalisé sur les limites, ayant conduit à la modification de la méthode, et le traitement de l’objet fini à l’issue des entretiens.
Mots-clefs : Dessin-élicitation, bande dessinée, parcours de vie, interdisciplinarité, orientation scolaire.
Hassina Khusrawy
« Paroles en dessin : l’habitat des exilés afghans au travers de techniques discursives et de techniques visuelles » (p. 201-249)
Résumé : L’article présente une approche méthodologique avec un retour critique et réflexif sur une enquête menée dans le cadre de la thèse qui s’intéresse à l’habitat des exilés afghans en milieu rural français. Il souligne la nécessité de repenser les techniques d’entretien classiques, comme l’observation participante et l’entretien semi-directif, en intégrant des techniques visuelles, telles que le relevé habité, la carte mentale et le dessin commenté, afin de libérer la parole des enquêtés, d’améliorer la qualité des données recueillies et d’approfondir la compréhension phénoménologique des expériences des personnes exilées. La complémentarité entre les techniques discursives et d’observations, et les techniques visuelles est explorée pour mettre en avant les opportunités et les défis associés à leur utilisation conjointe. L’article est structuré en quatre parties qui examinent l’originalité des techniques visuelles au regard des objets de recherche, avant de présenter le cadre d’application de ces outils méthodologiques pour proposer une analyse réflexive des données collectées pour mieux appréhender les défis liés à l’analyse qualitative et aux résultats de cette enquête.
Mots-clefs : Relevé habité, carte mentale, dessin commenté, habitat, habiter, demandeurs d’asile et réfugiés.
Justine Grosperrin, Simon Calla, Hélène Trimaille, Yoshimasa Sagawa et Aline Chassagne
« Exploration visuelle des rapports entretenus par les personnes âgées à leur habitat. Une réflexion méthodologique » (p. 251-277)
Résumé : Comment photographie et discours permettent-ils d’éclairer les rapports entretenus par les personnes âgées à leur habitat et à la façon dont elles y vieillissent ? Cet article s’appuie sur des données recueillies dans le cadre d’une enquête socio-anthropologique. Onze personnes vivant à domicile et en habitat alternatif ont accepté de photographier et de relater leurs espaces de vie par leur propre prise d’images photographiques et par photo-elicitation interview.
Cet article montre que l’articulation des discours et des images oscille entre le fait qu’ils puissent exprimer la même chose et leur pouvoir d’éclairer des ambivalences quant à la perception que se font les personnes interrogées de l’ordinaire apparent de leurs modes de vie. Ensuite, nous discutons les limites de cette recherche exploratoire : nous mettrons en lumière la possibilité de mise en scène offerte par la méthodologie choisie ; puis nous discutons du choix de l’appareil photographique jetable comme outil de recherche, qui questionne nos représentations du vieillissement, notamment à l’égard des outils numériques
Mots-clefs : Habitat, logement, vieillissement, méthodes visuelles, socio-anthropologie.
Felipe Barrientos
« Au-delà de l’image : réflexions sur la construction d’une méthodologie basée sur la photographie pour l’étude des pratiques spatiales des enfants et des jeunes migrants haïtiens à Santiago du Chili » (p. 279-314)
Résumé : Cet article propose une réflexion sur la mise en œuvre d’un protocole de recherche visant à étudier les pratiques spatiales des enfants et jeunes migrants haïtiens à Santiago du Chili. L’étude s’appuie sur les Childhood Studies et les concepts de mobilité en contexte migratoire, en soulignant la nécessité de permettre l’expression d’un groupe vulnérable. La recherche s’est déroulée en deux étapes entre septembre 2021 et mai 2023. La première, détaillée ici, consistait en des ateliers de photographie analogique proposés dans six écoles du secteur ouest de Santiago à des élèves âgés de 10 à 20 ans. La seconde étape, proposée aux élèves haïtiens volontaires, utilise la photo-élicitation pour engager un dialogue sur leurs expériences et perceptions de l’espace urbain. L’approche phénoménologique et la photographie comme outil de réflexion sont privilégiées. L’analyse des résultats permettra d’examiner le positionnement du chercheur et l’importance de la création de liens avec les participants en amont de la collecte de données.
Mots-clefs : Géographie de l’enfance, photo-élicitation, photovoice, éthique de la recherche visuelle, migration haïtienne.
Florence Huguenin-Richard, Laure Turcati, Laurence Eymard et Gilles Plattner
« Des émotions aux représentations : collecter des informations sur le vécu et les ressentis à partir d’un jeu sérieux » (p. 315-351)
Résumé : Cet article émane de travaux menés dans le cadre d’un projet de recherche de sciences participatives (Expo’ped, 2019-2023), incluant des personnes âgées habitant une ville de banlieue parisienne (Ivry-sur-Seine, environ 60 000 habitants). L’objet du projet concerne l’étude des pratiques piétonnes quotidiennes en lien avec l’exposition à la pollution atmosphérique, mesurée et ressentie par les personnes âgées elles-mêmes. Dans le protocole de recherche mis en place, plusieurs techniques de collecte de données ont été combinées dont un traceur GPS pour le suivi des déplacements et des micro-capteurs pour la mesure objective de polluants de l’air (gaz et particules fines). Quant aux ressentis, un jeu sérieux a été conçu de manière à favoriser l’expression des personnes impliquées au sujet de leur vécu. Ce jeu repose sur la cartographie d’émotions ressenties dans les espaces urbains pratiqués au quotidien en tant que piéton.nes. Les points forts de cet outil, la présentation des résultats obtenus et les limites rencontrées constituent le fil directeur de notre analyse.
Mots-clefs : Émotions, enquête de terrain, environnement urbain, jeu ayant un but, piéton·nes, représentations.
Hors thème
Gildas Igor Noumbou Tetam
« Nourrir les combattants au temps du maquis. Le ravitaillement et la ration de combat au sein de la guérilla nationaliste au Cameroun (1956-1971) »
Résumé : L’article ici proposé étudie la survie et la ration de combat au sein des maquis du Cameroun. Dans un premier temps, il décrit les réseaux de solidarités et les circuits de ravitaillement des maquisards. Dans la foulée, il analyse la gestion des pénuries et l’organisation de la cuisine au sein des unités combattantes. De l’ensemble des archives et des témoignages oraux qui serviront de matériaux à ce travail ; il ressort que les maquis du Cameroun tiraient l’essentiel de leur subsistance des contributions populaires, des réquisitions et des vivres récoltés dans les forêts du Sud-Cameroun. À la différence du Viêt Minh en Indochine et du FLN en Algérie, ces derniers ne bénéficiaient d’aucun soutien important à l’étranger.
Mots-clefs : Ravitaillement, ration de combat, maquis, UPC, Cameroun.
Simon Laflamme
« Populismes de droite et de gauche : étude comparée de programmes politiques »
Résumé : En recourant à la textométrie, un article de 2023 a montré qu’entre les programmes de partis politiques populistes et ceux de partis non populistes, il y avait peu de différence sinon une insistance sur l’économie dans les programmes populistes et une valorisation de l’équité sociale et de l’intervention écologiste dans les programmes non populistes. Dans le prolongement de ces analyses, cet article-ci compare des programmes populistes selon qu’ils sont de gauche ou de droite. Dans les programmes de la droite, il découvre un fort nationalisme et des griefs contre l’étranger et l’immigration. Dans les programmes de la gauche, il note une opposition entre les « travailleurs » et les « gens », d’une part, et les « multinationales » et les « banques », d’autre part; il observe également une dénonciation du rôle du monde des affaires, lequel est tenu responsable des problèmes liés au coût de la vie et à l’environnement. Dans les programmes des deux orientations, il constate, par ailleurs, des similitudes sur des thèmes comme l’éducation, la santé ou l’agriculture.
Mots clefs : Textométrie, populisme, populisme de gauche, populisme de droite, Démocratie nationale, Parti populaire du Canada, Debout la France, Rassemblement national, Reconquête, Parti du travail de Belgique, La France insoumise, Déi Lénk.