Claude Vautier
« Avant-propos sur le thème : complexité et relation » (p. 15-21)
Claude Vautier
« Conférence inaugurale du colloque de Sudbury
La revue Nouvelles perspectives en sciences sociales et la sociologie contemporaine. Un programme de refondation » (p. 23-41)
Philippe Garraud
« Jeux d’acteurs, propriétés et dynamique d’un “système d’action complexe” : les relations internationales en Europe et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale » (p. 43-80)
Résumé : La perspective systémique ne conduit pas à opposer une vision structurale ou systémique à une approche plus stratégiste, mais bien à les intégrer étroitement en mettant en évidence les interactions, les contraintes et les interdépendances qui conditionnent les différents choix politiques des acteurs, et circonscrivent et ferment progressivement le champ des possibles. Beaucoup plus que les intentions des acteurs, ce sont les propriétés du système qui déterminent sa logique, sa dynamique globale et ses effets. Dans cette perspective, on s’intéressera successivement aux stratégies des différents acteurs nationaux (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Pologne, URSS, Belgique) dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, puis aux propriétés du système liées aux interactions et à interdépendance des jeux d’acteurs et, enfin à la dynamique et aux effets de système : le chemin de la guerre.
Mots-clefs : jeux d’acteurs, système d’action complexe, propriétés et effets de système, Deuxième Guerre mondiale, relations internationales
Marcienne Martin
« La pensée systémique analysée à l’aune de l’entropie » (p. 81-104)
Résumé : Le courant de pensée appelé « pensée systémique » est en relation avec la complexité des structures qui sous-tendent toute organisation. En effet, cette approche cognitive de l’approche des objets du monde peut être abordée de multiples façons et ainsi générer des visions différentes de la réalité. La pensée systémique peut-elle intégrer l’entropie comme phénomène participant de la néguentropie dans le cadre d’une approche scalaire plus globale ?
Mots-clefs : pensée systémique, entropie, approche scalaire, complexité
Lahcène Bouabdallah et Ali Hamaidia
« Étude d’un cas abordé selon deux cadres de références : approches systémique et psychanalytique » (p. 105-127)
Résumé : Dans la pratique de la psychologie clinique, l’approche systémique n’est utilisée que dans un champ très étroit : la thérapie familiale. Cependant, on pourrait en user dans d’autres champs d’application de la psychologie, ce que cet article souhaite prouver empiriquement, à travers la présentation d’un cas clinique abordé (étudié et analysé) par deux approches différentes représentées par deux cadres de référence différents : le premier est d’inspiration psychanalytique (adopté réellement dans la prise en charge qui a eu effectivement lieu), et le deuxième basé sur une approche systémique pour aboutir à soutenir une tendance qui vise à tirer profit de toutes les approches dans l’intérêt final du patient : l’approche intégrative et multi-théorique.
Mots-clé : étude de cas, psychothérapie psychanalytique, thérapie familiale systémique, psychothérapie intégrative, aspect interactionnel, aspect relationnel
Patrick Dieuaide
« Travail cognitif, communication et gouvernance des relations de travail par les règles. Éléments d’analyse pour une “économie politique de la relation” » (p. 129-151)
Résumé : Le présent article s’interroge sur les perspectives ouvertes par le programme de recherche développé dans le cadre de la revue Nouvelles Perspectives en Sciences Sociales autour d’une « sociologie de la relation ». Mutatis mutandis, nous nous proposons de réfléchir à quelques propositions qui pourraient aider à cerner les contours de ce que l’on pourrait dénommer une « économie politique de la relation ». Pour ce faire, nous nous intéressons plus particulièrement à la place et au rôle de la communication dans les relations de travail dans les entreprises. Deux pistes de réflexion sont explorées : une première piste développe la notion de « travail cognitif » et souligne la diversité des modèles relationnels par lesquels la communication rend possible le rassemblement d’individus autour d’une vision partagée de l’organisation et de l’activité de travail. Cette réflexion conduit à caractériser la communication comme une activité productive de règles d’usage au fondement d’un agir collectif. Une seconde piste examine la question plus générale de la place et du rôle des règles dans la gouvernance des relations de travail au sein des entreprises. Les débats autour des dimensions implicite et explicite et des écarts entre la règle et son interprétation sont rappelés ; de même l’opposition entre la dimension publique des règles développées au cœur des relations de travail et la dimension privée du contrôle et de son application par le management. Ces réflexions conduisent à proposer une approche élargie de la communication considérée comme le vecteur d’une relation d’ordre dans les savoirs et les apprentissages mobilisés dans le travail. L’article conclut brièvement les tensions que soulève cette forme de communication entre la liberté de jugement et d’action et les contraintes imposées aux niveaux de l’organisation et de la mise en œuvre de l’activité de travail.
Mots-clefs : travail cognitif, communication, règle d’usage, coordination
Yves Jamont Jr Duplan
« Quelle logique pour la complexité ? » (p. 153-179)
Résumé : Nous qualifions d’orthodoxe tout type de logique qui repose entièrement sur l’axiomatique aristotélicienne, dite identitaire, et sur le principe de bivalence. Les logiques orthodoxes donnent lieu à un mode de raisonner analytique qui refuse la contradiction et dans lequel tout concept se distingue strictement et discrètement de tout autre concept.
Une manière de raisonner qui se veut une alternative à l’analytique est la dialectique. Celle-ci admet la contradiction comme principe fondamental. Dans le sillage de la dialectique, on trouve des systèmes logiques qui intègrent la contradiction, mais ont la particularité d’adopter le principe d’identité. Ce sont les logiques néo-orthodoxes formées de l’ensemble des logiques dites affaiblies, non triviales et paraconsistantes.
Eu égard aux phénomènes perçus complexes évoluant dans le temps et dans l’espace, nous remettons en question le caractère strictement absolu de l’identité et acceptons la contradiction comme forme particulière de la différenciation. Nous proposons trois principes de base pour établir une logique de la complexité : les principes d’idemité, de différentialité et de relationnalité. Ils n’excluent pas l’axiomatique aristotélicienne, mais reconnaissent sa pertinence seulement à un certain niveau d’abstraction. De plus, nous esquissons un modèle de différenciation des propositions ou énoncés en fonction de leurs valeurs de vérité.
Mots-clefs : analytique, complexité, contradiction, dialectique, identité, logique, non-trivialité.
Bernard Ancori
« Vulgarisation scientifique, increasing knowledge gap et épistémologies de la communication » (p. 181-232)
Résumé : Depuis sa naissance au XIXe siècle, la vocation affichée de la vulgarisation scientifique est de chercher à combler l’écart culturel entre « savants » et « ignorants » afin d’épauler une science longtemps considérée comme source de progrès de toutes natures. Au cours de la seconde partie du siècle suivant, elle se transforma en une médiatisation de masse, et elle se vit critiquée de toutes parts à partir du dernier quart du XXe siècle. L’une de ces critiques vise l’increasing knowledge gap qu’elle produit au sein de son public : son flux croissant d’information induit une appropriation différenciée au sein du système social, dont les parties dotées des statuts socioéconomiques plus élevés s’approprient cette information plus rapidement que celles qui ont des statuts plus bas, de sorte que le fossé entre les connaissances respectives des unes et des autres tend à s’accroître au lieu de diminuer.
Ce texte s’interroge sur le maintien paradoxal dans nos sociétés de dispositifs de vulgarisation scientifique dont l’increasing knowledge gap révèle cet effet pervers. Il montre que ce maintien tient à une forme de cécité épistémologique : contrairement à une opinion répandue, le modèle de communication pertinent pour penser la vulgarisation scientifique est celui proposé par Gregory Bateson, et non celui qui est issu des travaux de Claude Elwood Shannon. Nous présentons d’abord le modèle shannonien de la communication en tant que référent théorique du « modèle du déficit » qui inspire la vulgarisation scientifique, et nous soulignons sa totale inadaptation à la communication sociale. Nous résumons ensuite la conception batesonienne de la communication en la contrastant point par point avec le modèle précédent. Enfin, nous démontrons que, si l’increasing knowledge gap ne peut pas apparaître dans le cadre de la conception shannonienne de la communication, il s’explique en revanche très simplement dans le cadre de la conception batesonienne de celle-ci.
Mots-clefs : vulgarisation scientifique, increasing knowledge gap, lois additives versus lois combinatoires de l’information, de la communication et de l’apprentissage
Benoît Feildel
« L’émotion est ce qui nous relie. Éléments pour une approche relationnelle des phénomènes affectifs et des dynamiques socio-spatiales » (p. 233-259)
Résumé : Cherchant à comprendre les mécanismes à l’origine du rapport affectif à l’espace, nous avons conçu et mis en œuvre une enquête auprès d’habitants au sein de l’agglomération de Tours (France). Couplant récit et cartographie, l’enquête menée a permis de révéler l’importance de la dimension affective dans l’organisation spatiale des sociétés. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence comment les individus et les groupes sociaux, par le truchement de l’espace, gèrent la distance aux autres et à eux-mêmes, comment ils s’inscrivent et ils prennent place dans un réseau formé de lieux et de liens investis affectivement. Cependant, l’apport de cette recherche n’aura pas seulement été de contribuer à une critique du rationalisme et d’illustrer le poids des émotions dans les attitudes et les comportements des acteurs sociaux. La compréhension que nous avons tracée des phénomènes affectifs a également permis de révéler le caractère dynamique et complexe de l’évaluation des espaces, plaidant dès lors pour une approche attentive à la relation et à son évolution à travers le temps et les situations.
Mots-clefs : émotion, affectivité, espace, urbanisme, société, relation
Denis Martouzet
« Voisinage et injonction au vivre-ensemble : analyse relationnelle » (p. 261-285)
Résumé : Cet article interroge la relation de voisinage à partir de l’analyse de la figure du voisin dans la culture populaire (dictons, littérature, bande dessinée…) : figure péjorative, elle est globalement contredite par les discours, beaucoup plus positifs, recueillis lors d’entretiens semi-directifs sur le rapport spatial et social à l’environnement de l’individu. Il en ressort que la relation de voisinage, en plus de la spatialité, a deux dimensions majeures : la temporalité et la potentialité. Le voisin, parce qu’il demeure à proximité, est potentiellement nuisible ou utile. Par cette simple potentialité, la relation de voisinage fait que l’individu n’est pas exactement ce qu’il est, il est aussi le résultat de la proximité du voisin et de la relation de voisinage en tant que triplet spatialité/temporalité/potentialité. L’article vise ainsi à proposer une définition du concept de relation.
Mots-clefs : voisin, voisinage, culture populaire, relation
Paul Jalbert
« Au sein du foyer : une analyse relationnelle des interactions entre les membres d’une famille » (p. 287-301)
Résumé : Le débat sur les théories de l’action et la modélisation relationnelle quant à sa capacité à comprendre les interactions entre individus est encore animé. Malgré les nombreux travaux scientifiques déjà réalisés qui démontrent que les théories de l’action ne sont pas de bons outils pour comprendre les interactions et que la modélisation relationnelle leur est supérieure, la notion d’un acteur intéressé guidé par son intention persiste. Cependant, la vérification en milieu naturel n’a pas encore eu lieu. Un travail de recherche a été effectué pour répondre à cette critique. Une saisie audiovisuelle a eu lieu auprès de cinq familles canadiennes au cours d’une semaine dans leur foyer. L’analyse de ces données montre que dans seulement 13,1% des propos on a pu repérer une intention. Dans 9,3 % des propos, cette intention émerge de la dynamique en cours alors que dans seulement 3,8 % des propos observe-t-on que l’intention précède l’échange. Dans 2,3 % des propos, nous observons une non-intégration de l’information avec le discours qui a lieu et cette statistique diminue à 0,4 % des propos lorsqu’une nouvelle information entre en jeu. Ces résultats démontrent clairement que l’intention n’est pas le facteur absolu d’explication des interactions entre les membres d’une famille captées en milieu naturel, ce qui est conforme aux recherches antérieures.
Mots-clefs : approche relationnelle, intention, dynamique, rationalité, émoraison
Simon Laflamme
« Anthropocentrisme et sciences de l’humain » (p. 303-321)
Résumé : Le postulat d’un acteur rationnel, autonome, conscient, intentionnel et intéressé a maintes fois été dénoncé, notamment par les approches relationnelles. Les critiques ont rappelé l’importance de l’inconscient et de l’émotion dans la psyché humaine, l’impossibilité de comprendre l’action humaine en dehors d’un rapport aux structures sociales, le caractère illégitime d’une subjectivité qui délibère de façon monadique. À elles seules, ces critiques auraient dû évacuer depuis longtemps l’axiomatique rationalisante. Pourtant, cette axiomatique ne perd rien de sa vigueur ; elle continue à dominer les modélisations en sciences humaines. La question se pose de savoir comment elle fait pour s’éterniser. Il faut bien qu’elle justifie son existence.
Dans un travail récent, nous avons repéré sept manières par lesquelles les spécialistes des sciences humaines parviennent à légitimer cette axiomatique, qui est au mieux une demi-vérité (NPSS, 2015). Or, aucune de ces justifications ne représente réellement une réponse à la critique relationnelle. Et si l’on peut relever ces justifications et montrer qu’elles n’en sont pas réellement, c’est forcément qu’il y a quelque chose de sécurisant pour les spécialistes des sciences humaines à rester sourds à ces démonstrations.
Notre intention, dans ce texte, est de mettre en évidence cet aspect sécurisant des modélisations rationalisantes et ce qu’il y a de terrifiant dans les autres, qu’il s’agisse de celles qui n’ont pas d’acteur rationnel ou de celles qui ne se fondent pas sur l’acteur en lui-même. Nous montrons que les sciences humaines sont attachées à un anthropocentrisme qui nuit à leur aptitude à produire de l’abstraction, que cet anthropocentrisme est beaucoup plus un idéalisme que le résultat d’une analyse, ce qui accentue la difficulté à générer des abstractions opérationnalisables, et même à donner cours à un relationalisme empirique dans lequel les échanges ne seraient pas que les rapports entre les acteurs sociaux. Nous montrons en outre que l’anthropocentrisme agit comme obstacle au relationalisme dès lors que cette approche veut s’élever dans l’ordre de l’abstraction pour générer de la science de l’humain.
Mots-clefs : anthropocentrisme, sciences humaines, analyse relationnelle, micrologie, macrologie, émoraison
Claude Vautier
« De l’intérêt d’une approche relationnelle dans la modélisation des systèmes complexes » (p. 323-350)
Résumé : La sociologie, depuis son origine, s’est constituée sur quelques postulats qui furent des sources de querelles interminables et constituent aujourd’hui des limites à son développement. Le premier était que l’étude d’une société devait se faire, soit en étudiant le social comme source des situations individuelles (holisme méthodologique), soit en étudiant, au contraire, les individus, leurs caractéristiques, leurs choix et actions, pour rendre compte des caractéristiques observables de la société (individualisme méthodologique). Un autre postulat était que l’analyse scientifique supposait que soit banni tout hasard, toute imprévisibilité dans les mouvements de la société, le contraire impliquant que l’on ne puisse ni comprendre, ni se projeter dans le futur sociétal. Les développements contemporains de la sociologie rompent au moins partiellement avec ces positions. Les chercheurs en sciences humaines et sociales essaient de conjoindre les deux approches initiales (holisme et individualisme). Certains essaient aussi d’introduire la (ou les) temporalité(s) dans l’analyse afin de rendre compte de l’incontournable historicité des hommes et de leurs sociétés. Ce texte vise à proposer une approche « relationnelle » de la sociologie, permettant de conjoindre holisme et individualisme dans des modèles historicisés des systèmes complexes que sont les systèmes sociaux. Il insiste sur l’intérêt, voire la nécessité d’une modélisation relationnelle trialectique pour étudier les systèmes complexes.
Mots-clés : événement, individus, relation, systèmes complexes, modèle trialectique